En 2020, dans un contexte des plus particuliers, vous enregistrez une croissance de 20%.
Parallèlement, vous devenez une entreprise à mission et ambitionnez de quadrupler votre chiffre d’affaires d’ici 2025… C’est un début d’année sur les chapeaux de roues !
On a acquis une certaine dimension qui rend les choses plus visibles, mais on fait une croissance moyenne de 25% par an depuis qu’on est né, il y a dix-sept ans. Ça veut dire qu’on est en transformation tout le temps.
Si on avait été une start-up dans la tech, on aurait une audience depuis bien longtemps. Mais le marché de l’économie de croissance n’est pas organisé comme ça aujourd’hui… La promotion immobilière était considérée comme un marché très traditionnel quand on a créé l’entreprise en 2003, souvent un marché d’héritiers, un peu opaque, où il y avait beaucoup d’argent mais peu d’innovations. Finalement, il fallait un gros réseau, un rire gras et un peu d’argent sur son compte bancaire : c’était ça l’image autour de nos métiers ! Donc ça n’intéressait personne. On a mis du temps, une bonne dizaine d’années, avant d’être capables d’afficher la vraie différenciation du groupe. Il a fallu apprendre le métier d’abord, puis, une fois qu’on a commencé à avoir une base un peu plus solide, on a pu œuvrer sur nos vraies aspirations.
Quelles sont-elles ?
Déjà, vivre une aventure, prendre du plaisir, être utiles dans ce qu’on fait. Jusqu’à ce que j’aie 25 ans, ces métiers-là étaient des métiers de fripouilles obsédées par l’argent, imbues de leur fausse puissance : ça, c’était mon regard sur le métier de maître d’ouvrage… Autant vous dire que le chemin à parcourir était long !
Pourquoi vous être engagé dans ce secteur alors ?
Quand on est dans une vraie aspiration entrepreneuriale, tout ne se décide pas. Et c’est un des rares métiers dans lequel on peut aller sans avoir aucun diplôme à la base. Quand on dit qu’à Réalités on a démarré avec rien, c’est vraiment rien : pas d’argent, pas de réseau, pas de savoir-faire.
La seule chose qu’on avait, c’était une solide culture entrepreneuriale, on savait travailler et on savait trouver des ressources financières : ça a démarré comme ça. Après, on a commencé par acheter une entreprise de gros œuvre. Et il se trouve qu’avec mes deux associés de l’époque, quand on a racheté cette entreprise, les clients étaient des promoteurs immobiliers. Quand j’ai découvert ce métier, je me suis dit : « Tiens, ça peut être intéressant : la fabrication de la ville, la polyvalence des gens qu’on rencontre, les métiers. » Dans ce que j’ai cru comprendre de ce métier à l’époque, il y a beaucoup de choses qui étaient vraies, d’autres qui étaient fausses, il y a donc eu un désenchantement, mais aussi un enchantement permanent.
In fine, je ne pourrais pas être à un meilleur endroit que là où je suis aujourd’hui, par rapport à ma personnalité, ce que je suis. Je sais que je suis à ma place et qu’on a bâti quelque chose qui ressemble à ce que j’aurais pu imaginer enfant. Pour la première fois depuis que j’ai créé Réalités, j’ai l’impression de rencontrer l’entreprise.
C’est-à-dire ?
Dans la manière que l’on a d’accueillir les gens, de travailler, dans la qualité de réalisation de l’Intrépide (NDLR, le nouveau siège social du groupe à Saint-Herblain), et en même temps dans sa sobriété, dans les images que l’on expose ici, les messages que l’on fait passer, les drapeaux de la République qui sont devant, on est à notre place. Dans ce métier qu’est le développement territorial, je me sens à ma place.
Comment définissez-vous un « développeur territorial » ?
Ça veut dire que grâce à l’intégration, dans une même entreprise, de plusieurs métiers différents, on est capable de s’intéresser à un territoire et d’être un alter ego des services et des élus pour travailler à des projets qui créent de la valeur sur les territoires, qu’ils soient sociaux, de création d’entreprise, de maîtrise d’ouvrage, de fabrication d’équipement. Ça veut dire qu’on est capable de faire du marketing territorial, de penser à l’échelle d’un petit immeuble ou à l’échelle d’un quartier. On met nos capacités au service du développement du territoire.
Pour la première fois depuis que j’ai créé Réalités, il y a dix-sept ans, j’ai l’impression de rencontrer l’entreprise. Yoann CHOIN-JOUBERT
Est-ce que ce n’est pas déposséder la sphère publique d’une de ses prérogatives ?
La réponse est radicalement négative, et c’est une manière ancrée dans le passé de le voir ainsi. Il n’y a pas d’un côté le public et de l’autre le privé : il y a l’intérêt général qui appartient à tout le monde.
Qui est le plus en conflit avec l’intérêt général ? La personne publique qui est payée par l’argent public ou le citoyen lambda et la société civile ? Moi je n’ai pas d’enjeu avec la dépense publique, je ne joue pas ma survie dans cette dépense publique. Donc mon objectivité peut être aussi bonne que celle d’un service. Et en plus, moi j’affirme que j’ai un intérêt particulier qui est clair. Il n’y a donc pas maldonne. En même temps, il y a chez les élus et dans les services des gens exceptionnels.
Par contre, ce qui est sûr, c’est que depuis quarante ans les entreprises sont absentes du débat public. Et nous on dit qu’il faut que ça s’arrête car on est une des paroles qui devrait être entendue dans la fabrication de l’opinion. Si notre pays aujourd’hui est confronté à une phase de décroissance des ambitions, de sa capacité industrielle, c’est aussi parce que ça fait quarante ans qu’on laisse croire que les entreprises s’inscrivent toujours contre l’intérêt général. Quelque part, on n’a même plus le droit de parler. Eh bien moi j’affirme l’inverse et je ne suis pas le seul : il y a plein d’entreprises qui l’affirment ! Si on ne veut pas voir que ce qui change le monde ce sont les entreprises et pas les États, on est aveugle.
Google, Facebook, Twitter, Instagram, Airbnb… Ce qui change le monde, ce sont les rêves des gens et leurs capacités à les mettre en œuvre. Nous, on n’est pas des rêveurs, on sait conceptualiser des choses, les transformer en modèles économiques et les mettre en œuvre.
Sauf qu’elles peuvent ne pas être rassurantes ces entreprises qui prennent beaucoup de place…
Bien entendu, il faut se poser des questions à partir du moment où il y a un abus de position dominante. Je ne ne dis pas qu’on veut que les entreprises se substituent à l’État ou qu’elles portent 100% de ce qu’est l’intérêt général. Je dis juste que les entreprises ont toute légitimité pour participer à la fabrication de l’opinion et peuvent aussi co-construire l’intérêt général. Les entrepreneurs sont aussi au service de l’intérêt général. Pas tous, mais beaucoup.
C’est un discours politique !
Bien sûr qu’on fait de la politique ! Quand vous fabriquez la ville, quand vous changez les quartiers, quand vous créez des maisons médicales dans les déserts médicaux, vous faites de l’aménagement du territoire, donc vous faites de la politique. Mais pas dans le champ de la compétition électorale, dans le champ de la politique utile à la société.
Après, on fait avec notre style. J’ai envie de partager cette capacité qu’on a en France de réussir même quand on part de rien ou de presque rien. Mes parents étaient des CSP+ de province, mais la génération avant eux c’était la pauvreté intégrale. J’ai eu de la chance d’avoir des parents aimants, qui m’ont donné de la confiance, mais je n’avais rien pour être là où je suis aujourd’hui. Je n’ai pas fait HEC, le premier crédit que j’ai fait pour développer ma boîte était de 7 500 €, avec la caution de mon père. Aujourd’hui, on est 500, on fait 200 M€ de chiffre d’affaires. En 2025, on fera quatre fois plus et on sera 1 200. On a envie de partager une nouvelle France avec les gens.
Quelle est cette idée de la France ?
L’idée selon laquelle la réussite est possible. Je suis l’archétype du mec qu’on déteste en France depuis quarante ans : je suis blanc, je suis un homme, j’ai 45 ans et je suis en situation d’enrichissement. Mais ce n’est pas pour ça que je suis un salaud ! On a le droit d’aller vers l’excellence, d’être un entrepreneur qui veut développer quelque chose qui soit résilient, qui dure, sans être contre l’intérêt général !
Je suis convaincu qu’on arrive à un moment où l’on va avoir une nouvelle génération d’entrepreneurs, avec des modèles différents et une vision de la réussite qui est globale, sans perdant. Quand j’achète un marché de travaux à un fournisseur, je n’ai pas envie qu’il dépose le bilan à la fin du chantier et de mon côté avoir gagné plus d’argent. Je n’ai pas envie d’avoir des collaborateurs sous-payés. Je n’ai pas envie d’avoir des actionnaires maltraités.
D’où le statut d’entreprise à mission ?
Exactement. On veut « être utile partout, tout le temps, au développement intelligent des territoires1 ». Au départ, l’entreprise à mission me faisait peur car ça peut avoir un côté tarte à la crème. Or, on a plein de défauts, mais on est résolument authentiques et on est très attachés à la preuve.
Quels sont vos engagements, vos chevaux de bataille ?
Je veux aider à changer, à mon échelle, la morosité nationale. Aider les Français, mes concitoyens, à porter un regard un peu plus positif, plus ambitieux sur les choses, ouvert aux autres. On découpe la société dans tous les sens en France, même si on n’est pas les seuls : l’étranger/le Français, le riche/le pauvre, la femme et l’homme… Et on veut réconcilier l’intérêt individuel et collectif. Il faut aussi se ré-émerveiller de ce qu’on vit, de la chance qu’on a de bien manger, de pouvoir bien se soigner. Et après, être dans le réalisme aussi. Pour que la chance que l’on a s’inscrive dans le temps.
Le déclassement de la France me révolte et ce qui me révolte le plus c’est que le discours qui mène au déclassement est un discours petit bourgeois. Les gens qui empêchent le développement du pays, c’est parce qu’ils ont trop et qu’ils ne le savent pas. Le progrès ce n’est pas une option, le futur, c’est toujours devant. Il faut toujours aller de l’avant, aller vers le progrès. On va résoudre les problèmes de l’environnement, pas par la régression, mais par la technologie, la conduite du changement, les mutations, le progrès. J’aimerais entendre les élus parler de ça. Je veux être un contributeur de cette pensée-là. On ne peut pas laisser les seuls acteurs du sous-développement tenir l’opinion. Les entreprises doivent retrouver leur capacité à parler.
On dit souvent chez Réalités qu’on est un peu comme des chats de gouttière. En fait, on est entre le corsaire, le chat de gouttière et le sportif de haut niveau. Il y a ça chez de nombreux entrepreneurs : on est révoltés. Ça démarre simplement par le fait de dire « non, je ne veux pas rester où je suis, je veux avancer ». On reçoit beaucoup de mauvaises nouvelles dans notre activité. Quand c’est le cas, il faut laisser les choses se sédimenter, se réorganiser et repartir. YelloPark, par exemple, ça a été ça. Mais on apprend plus de ses échecs que de ses réussites…
J’invite mes amis entrepreneurs à prendre la parole dans l’opinion publique parce qu’on a besoin d’entendre cette parole. Yoann CHOIN-JOUBERT
Qu’est-ce que vous avez retiré de l’échec YelloPark ?
Réalités, aujourd’hui. Déjà, ça m’a changé en tant que chef d’entreprise, ça m’a enrichi, humainement, intellectuellement. L’échec laisse des cicatrices et une grande bataille comme celle-là, vous donnez des coups, vous en prenez, vous tombez, donc forcément ça cabosse… Mais à la fin, ça passe. J’ai fini par comprendre avec YelloPark que les entreprises sont des acteurs politiques. Je ne le savais pas quand on est entré dans ce projet-là, ça a été un révélateur pour nous. Et j’invite mes amis entrepreneurs à prendre la parole dans l’opinion publique parce qu’on a besoin d’entendre cette parole.
Les entreprises ont pourtant déjà cette capacité aujourd’hui à travers un certain nombre d’instances…
Quelle a été la parole de la fédération des promoteurs immobiliers au début de la crise sanitaire ? Quant au Medef, il a eu une parole, mais elle était anachronique, en disant aux gens de ne pas prendre de vacances et en freinant la transition énergétique ! Nous, on a dit diamétralement l’inverse sur la transition énergétique et on a imposé aux collaborateurs un minimum de vacances entre juillet et août et à Noël.
49 de vos managers viennent d’injecter 10 M€ au capital. C’est un signal fort !
Chez Réalités, on a des valeurs : la transparence, l’empathie, l’esprit d’entreprendre. Pour être entrepreneur, il faut trois choses : des responsabilités, une bonne rémunération et une démarche capitalistique. Prendre des risques aussi. Des levées de fonds, on en a fait en 2007, en 2014. Mais celle-là on l’a faite entre Noël et le jour de l’An, en plein Covid, en mettant un ticket minimum de 75 000 €. Avoir 49 cadres qui disent « banco, j’y vais, j’emprunte l’argent », c’est quelque chose ! Je vois bien la force de notre collectif, l’engagement, l’adhésion au projet et aux valeurs, je pensais qu’il y aurait un certain intérêt, mais 10 M€ de capitaux propres qui rentrent dans les caisses de la boîte, franchement, c’est exceptionnel ! Et je dis CQFD : on n’est pas dans le discours, on est dans la réalité. Et je peux vous dire que j’ai une charge de responsabilité plus forte vis-à-vis de ces 49 managers que de mes propres engagements… Ça nous oblige à réussir.