Vous avez un parcours atypique, pouvez-vous nous en donner les grandes lignes ?
Je suis née en Algérie. J’y ai passé une enfance très heureuse. J’étais une rêveuse née et j’avais déjà un plan de vie, avec l’envie de créer une entreprise dans le domaine créatif et le goût de la transmission puisque je donnais dès l’âge de dix ans des cours de français à d’autres enfants dans le garage de mon père ! Malheureusement, ensuite, il y a eu la Décennie noire, celle du terrorisme, et mes parents ont pris la décision de partir en France. J’avais alors 12 ans. On est arrivés à Nantes sans savoir où aller, avec l’équivalent de 150 € en tout et pour tout et des casseroles dans les valises, au sens propre ! On est venus vivre à Malakoff et j’ai dû tout reconstruire – mes études, mes relations amicales -, et m’adapter au changement de culture… Il a fallu sortir les rames !
Après le Bac, je voulais faire les Beaux-Arts, mais je me suis finalement orientée vers des études de langues. J’ai suivi un cursus universitaire enrichissant, mais ultra théorique. J’étais attirée par le terrain et terriblement pressée de créer mon activité… J’ai donc créé ma première entreprise dans l’événementiel, après une symbolique étude de marché et un business plan très scolaire. L’activité a tenu trois ans. Entretemps, j’avais pris goût à la création graphique à laquelle je me suis formée toute seule, profitant de mes engagements associatifs pour m’entraîner. Mon travail ayant finalement parlé pour moi, j’ai créé ma deuxième entreprise, Wlcom, en 2012. D’abord auto-entrepreneure, je suis passée en société en 2016 et c’est là que j’ai découvert le concept du logo végétal.
Comment l’idée vous est-elle venue ?
À l’époque, je voulais avoir une enseigne originale dans mon bureau. Et en même temps, j’avais envie de bien-être, je me rapprochais de la nature. Quand j’ai découvert le concept des roses éternelles, je me suis demandé pourquoi le stabilisé n’était pas reproduit sur d’autres végétaux. Et c’est comme ça que j’ai découvert qu’il existait énormément de variétés de plantes stabilisées. Le principe est le suivant : on remplace la sève par une sorte de glycérine, ce qui permet au végétal de vivre pendant dix à douze ans, sans entretien.
Pour mon activité, j’avais besoin d’avoir un végétal qui s’adapte à la charte graphique des entreprises et c’est comme ça que j’ai découvert le lichen. Il existait bien alors une société américaine qui en avait, mais c’était hyper limité côté formes et couleurs. Malgré tout, je l’ai testé en parallèle des supports de communication que je proposais alors, avec l’entreprise qui est encore mon partenaire aujourd’hui : l’imprimeur numérique Graphic’A.
J’ai dessiné un support rigide en bois que j’ai végétalisé. Ça a pris des mois et des mois d’entraînement, de tests de végétaux et de fournisseurs, le garage de mes parents en était d’ailleurs rempli ! J’avais beaucoup de pertes de végétal, la qualité n’était pas non plus au rendez-vous et quand on me donnait les méthodes de production, sans respect de l’environnement et des ouvrières, je n’avais pas envie de participer à ça. J’avais 100 % mauvaise conscience !
Finalement, le 1er mai 2016, j’ai décidé de fêter la journée du travail en allant travailler. Je me rappelle m’être donné la journée pour enfin trouver le bon fournisseur ! Et bingo : j’ai fini par sélectionner une entreprise familiale européenne. Leur végétal est haut de gamme, hyper généreux, il est cueilli dans des zones naturelles où il pousse sans aucune pression, et l’entreprise revient sur les zones de cueillette après cinq ans seulement afin de laisser le temps au lichen de se régénérer naturellement, ce qui permet aussi de respecter l’écosystème autour car ce lichen est la nourriture des rennes. Et de mon côté, j’utilise des colles sans solvant pour réaliser mes créations afin de ne pas agresser le végétal.
Qui sont vos clients ?
Des enseignes de la grande distribution, des grands groupes, des promoteurs immobiliers, des collectivités aussi dans le cadre du programme “Action Cœur de ville“¹, qui veulent communiquer autrement. Les architectes sont aussi des prescripteurs. Plus récemment, j’ai engagé un partenariat avec une grande centrale de pharmacies, OCP Répartition. Je suis désormais référencée chez eux pour vendre des croix de pharmacie végétales. Je viens d’ailleurs de créer une boutique en ligne dédiée.
Vous affichez votre engagement en faveur d’une économie régénérative…
Je participe à la Convention des entreprises pour le climat (CEC). J’ai tout de suite pensé à mes enfants en fait ! J’avais besoin de m’engager, de leur montrer qu’en tant qu’entrepreneur on est acteur du changement, que je contribue à améliorer le monde qu’on va leur laisser demain. La liberté, le respect, la bienveillance, l’engagement, la responsabilité font partie des fondements de l’entreprise et de mes valeurs personnelles.
J’avais besoin de faire partie de cette aventure qui réunit des entrepreneurs. Et au cours d’échanges avec l’organisateur, il m’a parlé du concept d’écologie de soi.
De quoi s’agit-il ?
Au même titre que l’on doit respecter notre Terre, ne pas la surexploiter, respecter son rythme pour qu’elle soit productive, il faut s’inspirer de la nature pour prendre soin de soi. C’est un cercle vertueux finalement.
Cette image m’a particulièrement marquée, car elle m’a montrée qu’en voulant tout faire j’étais en train de me surexploiter. Or, c’était au moment où j’ai eu des problèmes de santé. Je me mettais tellement la pression que ça a fini par toucher ma santé. Ce message, je l’ai donc bien reçu, il a réussi à me convaincre d’accepter les pauses pour moi. Aujourd’hui, je l’assume, sans culpabilité. Mes enfants sont ma priorité. Ensuite, pour le travail, je prends le temps. De toute façon, si je ne prends pas ce temps, ça va finir par empiéter sur mon travail… Parallèlement, moi qui étais attirée par les engagements associatifs, j’ai d’ailleurs créé mon association Wlhome il y a trois ans², je me suis aussi contrainte à ne pas y passer plus de 10 % de mon temps. Ça me permet de m’éclater, ça me fait du bien tout en bénéficiant à un plus grand nombre. Enfin, parmi mes priorités, j’ai aussi ma famille, au sens large.
J’ai réussi à trouver cet équilibre depuis la CEC. Avant, je culpabilisais de ne pas travailler. Le fait d’avoir mis de l’ordre dans mes valeurs, mes priorités, fait que je me sens vraiment plus légère.
Le concept de sobriété liée à l’écologie de soi m’inspire. Car ainsi on peut créer de super belles choses qui sont finalement durables, parce qu’on ne se détruit pas et on ne détruit pas son écosystème. Et ce n’est pas grave si ça prend plus de temps, au moins on apprécie le chemin !
Vous avez une stratégie de démarchage client centrée autour du bouche-à-oreille et de LinkedIn. Pourquoi ce choix ?
Je n’ai pas encore été amenée à prendre mon téléphone. J’ai aujourd’hui une communauté de 15 000 personnes sur LinkedIn et mes publications me permettent de créer un flux de demandes de devis. Comme pour le moment je suis toute seule, je suis obligée d’être efficace. Pour chaque devis, je crée des maquettes, que j’envoie aux clients. On négocie puis on part pour le projet.
Pour l’OCP Répartition, j’ai choisi une stratégie un peu différente : j’ai ciblé les décideurs, fait une publication en les taguant et tout de suite après, j’ai rebondi sur leur like pour les contacter par message direct. J’ai obtenu ainsi une dizaine de réponses jusqu’à être mise en relation avec la personne qui m’intéressait. C’est une technique simple et efficace. Pour moi, LinkedIn est une arme de prospection massive !
Vous vous racontez aussi beaucoup sur ce réseau professionnel, en n’hésitant pas à faire du personal branding³ et en abordant des sujets personnels, voire intimes…
Sur LinkedIn, il faut savoir partager ses réussites comme ses échecs. Il faut être authentique. De toute façon, c’est automatique : quand on cherche juste à se vendre, ça ne fonctionne pas. Ce que les gens aiment voir, c’est ce qui parle à tous. En partant de ce principe, lorsque j’ai envie de parler de quelque chose qui me tient à cœur, je le fais. C’est ce que j’ai fait notamment à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes le 8 mars dernier en parlant des quatre saisons de la femme auxquelles j’ai associé une couleur en bonne graphiste. Un sujet à la fois intime et tabou : une femme sur deux ne connaît pas le pouvoir de son cycle hormonal ! Le transmettre de cette manière-là, pour peu que l’on maîtrise la forme et les codes du réseau social, c’est très efficace.
Pourquoi partager des expériences aussi personnelles est-il important pour vous ?
Je raconte dans mon article “La femme en quatre saisons“ que j’ai découvert par des expérimentations dans mon parcours d’entrepreneure que nous sommes dépendantes de notre cycle féminin. On vit chaque mois un cycle avec ce que j’ai appelé une phase rouge, verte, bleue et orange. Ces semaines suivent le taux hormonal féminin.
Ainsi, en semaine orange, ce taux baisse et qui dit baisse hormonale, dit baisse d’énergie. Si on est sensible, vulnérable, on a alors tendance à se sentir affaiblie, triste. À l’inverse, si on a un caractère fort, on devient agressive. Si on ne le sait pas, le risque c’est d’abandonner des projets qui nous tenaient pourtant à cœur parce qu’alors on se remet en question, on s’auto-sabote. Alors que si on sait que c’est cyclique, non seulement on apprend à laisser passer l’orage, mais on accueille ce moment. J’ai mis un temps fou à aimer cette phase et parfois elle tombait au même moment qu’un rendez-vous professionnel que je ne pouvais pas déplacer et alors je luttais intérieurement. Alors qu’aujourd’hui je fais en sorte de placer mes rendez-vous sur les périodes vertes et bleues ou en fin de rouge où j’ai une énergie et un pouvoir décuplés ! Les femmes peuvent tirer profit de cette connaissance sur le plan professionnel.
Quels retours avez-vous eu après cette publication ?
J’appréhendais les réactions même si j’ai été très prudente dans mon article… Mais finalement, j’ai eu un bon accueil ! J’ai reçu beaucoup de remerciements, principalement en messages privés, car le sujet reste délicat.
L’objectif pour moi était de vulgariser ce message, de sensibiliser. De le porter à la connaissance des femmes, mais aussi des hommes. Et puis une élue de la Ville de Nantes m’a demandé d’en parler lors d’un événement. Et je l’ai fait, en intervenant dans une maison de quartier à Bellevue. La salle était pleine avec beaucoup de femmes et deux hommes. J’ai vu des personnes très émues. J’ai senti que c’était comme une révélation. Et le fait qu’une entrepreneure puisse parler des failles et des faiblesses qu’engendre notre cycle hormonal, j’ai eu l’impression que le message portait davantage.
J’aimerais désormais aller plus loin en créant une application gratuite, qui permettrait d’intégrer dans son agenda les couleurs de semaine afin de faciliter l’organisation au quotidien.
Et pour votre entreprise, quelle est aujourd’hui votre ambition ?
L’objectif pour moi est d’avoir mon local, mon équipe de production et d’industrialiser le concept des croix de pharmacies, sachant qu’il y a environ 25 000 officines en France… Industrialiser implique d’investir : j’ai besoin de 400 000 € pour passer à cette phase. Pour cela, je suis prête à faire une levée de fonds, mais pas à n’importe quelles conditions. Jusqu’ici, tous les investisseurs que j’ai rencontrés étaient d’accord pour investir, mais il fallait toujours que je change le concept. Or, j’ai ma ligne conductrice sur les valeurs de mon entreprise, sur le chemin qu’elle doit suivre, je veux rester dans le végétal et dans la communication. Je ne suis ni une enseigniste ni une paysagiste. Je ne veux pas me diversifier.
Quand on fait rentrer un investisseur, c’est comme si on donnait la clé de chez soi. Aujourd’hui j’ai une forme d’indépendance qui me permet d’être moi-même et ça, ça n’a pas de prix ! En 2018, j’ai été lauréate de la Creative factory⁴ où l’on nous formait justement pour aboutir à la levée de fonds. Mais j’avais l’impression que je devais céder une partie que je pouvais garder. Et finalement, heureusement que j’ai choisi cette voie car aujourd’hui on ne peut pas me reprocher de faire du greenwashing. Faire du business si c’est pour piétiner certaines valeurs, je ne me suis pas mise à mon compte pour ça. Ça me retirait le “why“, le pourquoi de mon investissement entrepreneurial. J’ai donc fini par me dire : « tant pis, tu prendras le temps qu’il faudra ». Désormais, je suis prête à ouvrir mon capital, mais j’ai plutôt envie de privilégier les business angels dans le cadre d’une première étape.
Quand vous regardez le chemin parcouru jusqu’à aujourd’hui, quel bilan faites-vous ?
Je suis émue car je n’ai rien piétiné de ce qui me tenait à cœur. J’ai apprécié le chemin, j’ai énormément augmenté ma valeur en me formant, j’ai investi sur moi et je ne suis pas avare de partage. Pour moi, c’est une richesse.
Je n’ai rien fait comme tout le monde. J’ai essayé de tout faire pourtant pour rentrer dans les cases, mais ma nature prend le dessus à chaque fois et aujourd’hui j’ai envie de l’écouter.
Je n’ai pas appris l’entrepreneuriat dans les grandes écoles, je n’ai pas été non plus dans une école d’infographiste, j’ai appris le métier sur le tas.
1. Programme national lancé en 2018 ayant pour ambition de redynamiser les villes moyennes.
2. Veiller au respect de la dignité de l’enfant et de la femme à travers la connaissance de soi, l’entrepreneuriat, l’art et la nature.
3. Marque personnelle.
4. Accélérateur des industries culturelles et créatives de Nantes métropole et de la Région.