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Sophie Biette de l’Adapei 44 : « Je ne fais pas la charité, je participe à la vie économique »

Sophie Biette, présidente de l’Adapei 44 (association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales) met toute son énergie au service de l’inclusion et de l’insertion des personnes handicapées sur le territoire. Un combat qui a débuté à la naissance de sa fille Marie, autiste.

Sophie Biette de l’Adapei 44

Sophie Biette de l’Adapei 44 © Benjamin Lachenal

Comment avez-vous commencé à vous intéresser à la question du handicap ?

Je suis maman de cinq enfants. Marie, notre fille handicapée, est la cinquième, née en 1991. Quand elle était petite, je me suis vite rendue compte qu’elle ne se développait pas comme les autres enfants. J’ai commencé à en parler autour de moi, et j’ai rencontré un spécialiste de l’autisme de l’Inserm de Tours, à l’occasion d’une conférence, il a présenté des cas de bébés autistes, et j’ai reconnu Marie. Elle a donc eu un diagnostic excellent, et très tôt, dans un des trois centres experts de l’époque. J’ai commencé à regarder dans des bouquins et je me suis aperçue que ces enfants mettaient en échec toutes les stratégies éducatives classiques et qu’en même temps, il fallait les éduquer. J’ai décidé d’aller me former aux stratégies éducatives, pour les parents et les professionnels. Marie avait alors environ trois ans, sans accompagnement extérieur, sauf un peu de halte-garderie. J’ai ainsi commencé à m’intéresser et à me rapprocher des associations. Elles étaient souvent en plein conflit au sujet de l’autisme, entre une approche très médicale qui prévalait jusqu’à présent, et une nouvelle génération de parents qui militaient pour un développement par les actions éducatives. C’était la guerre entre le « tout éducatif » et le « tout médical ». Aujourd’hui, globalement, il y a un consensus sur le fait que les deux démarches sont importantes. Je suis allée à l’association pour la recherche sur l’autisme et la prévention des inadaptations (Arapi), qui rassemblait des chercheurs et des familles.

Les adultes autistes avant n’étaient pas du tout accompagnés, 90% à l’époque étaient à la maison ou à l’hôpital psychiatriques. Sophie BIETTE

Êtes-vous ainsi devenue ce qu’on peut appeler une militante ?

Oui, je me définis comme telle. Je voulais un état des connaissances sur la question de l’autisme, j’ai été présidente de l’Arapi pendant trois ans. J’ai profité du premier plan autisme en 1996 qui faisait rentrer l’autisme dans le champ du handicap et donc dans celui du médico-social. Les adultes autistes avant n’étaient pas du tout accompagnés, 90% à l’époque étaient à la maison ou à l’hôpital psychiatrique. Il fallait à la fois pousser les pouvoirs publics mais également les associations qui étaient gestionnaires des établissements et qui devaient donc s’emparer de ce plan pour adapter leurs pratiques et intégrer les personnes autistes dans le dispositif du Sessad (Service d’éducation spécialisée et de soins à domicile). Je suis allée voir des politiques, et j’ai contacté à ce moment, pour la première fois, l’Adapei Loire-Atlantique. Le directeur de l’époque était intéressé et j’ai rencontré la présidente et le conseil d’administration. J’étais un peu impressionnée, je voulais que l’association s’empare du Sessad pour accompagner des enfants autistes à l’école. Ce qui a été entendu de l’Adapei. J’ai dû batailler pour faire connaître l’autisme, et que soient créées des entités dédiées. Les personnes autistes étaient considérées comme perturbatrices avant tout, il fallait leur proposer un accompagnement spécifique. Je parle là des personnes autistes avec déficience intellectuelle, ce qui est le cas de ma fille. Je suis assez rapidement entrée au sein de l’Adapei, pour militer. C’est une association pour moi d’entrepreneurs militants, c’est à dire qu’on y engage des projets. Il y a soixante ans, les parents disaient déjà que les enfants handicapés mentaux pouvaient et devaient être éduqués. J’étais alors secrétaire du président de l’Adapei44. Et je suis aussi entrée, à la demande de la présidente, au conseil d’administration de l’Unapei (Union nationale de l’association) pour porter le sujet de l’autisme. En 2014, je suis devenue présidente de l’Adapei44.

 

L’autisme vous a-t-il permis de comprendre les problématiques des autres handicaps ?

Ce que disent les professionnels, c’est que quand vous accompagnez des personnes déficientes intellectuelles, vous partez en grande randonnée. Quand vous accompagnez des personnes autistes, vous vous équipez un peu plus sérieusement pour en plus faire de l’ascension. En tant que secrétaire de l’Adapei, j’ai élargi mes connaissances. J’ai découvert que certaines personnes handicapées avaient juste besoin d’un petit coup de pouce pour entrer à l’école, ou pouvoir accéder au travail.

 

L’Adapei accompagne les personnes handicapées mentales de l’école jusqu’au travail. Comment cette question du travail, notamment en milieu ordinaire, a-t-elle évoluée ?

On raisonne en termes de parcours. Un enfant a besoin d’aller à la crèche, avec des professionnels en appui, on a créé des plateformes en lien avec l’ARS, la mairie de Saint-Herblain et d’autres partenaires, par exemple, pour cela. Ensuite il y a l’école, puis la question de la formation et de l’insertion professionnelle. Les premiers modèles développés étaient les CAT, centres d’aide par le travail (aujourd’hui Esat, Établissements ou services d’aide par le travail, NDRL). Avec le développement de la société inclusive, les jeunes qui sont allés à l’école, qui ont fait leur formation professionnelle, en milieu ordinaire, n’ont pas vraiment envie d’être uniquement dans un milieu protégé de travail. Nous avons initié, il y a vingt ans environ, l’Esat hors les murs, nous avons été précurseurs. Mais au début, on était soit à l’Esat, soit à l’Esat hors les murs. Aujourd’hui, même si les entités existent en tant que telles, les personnes peuvent avoir un détachement en entreprise. Nous avons douze Esat en Loire-Atlantique, mais nous n’avons désormais qu’un seul projet, pour être repérés auprès des grands donneurs d’ordre et pour ne pas se mettre en concurrence entre nous. Nous avons par exemple un accord important avec Airbus, les équipes détachées sont accompagnées par leur moniteur d’atelier, mais souvent ne mettent pas du tout les pieds à l’Esat. Au début, ils avaient installé une petite chaîne de production, mais aujourd’hui ils sont plutôt mélangés. L’Esat sert aussi de plus en plus de tremplin. Certaines personnes sont assez autonomes, mais n’ont, soit pas l’appétence, soit pas la productivité suffisante pour travailler. Elles ne sont pas affiliées à l’Esat, mais aujourd’hui on leur permet de venir pour essayer une activité de travail, ou juste observer, et, petit à petit, elles peuvent être intégrées en Esat à part entière.

 

Vous insistez sur le fait que l’Adapei est un acteur économique du territoire…

À part entière oui ! Je ne fais pas la charité, je participe à l’investissement et à la vie d’une région. Nous comptons 1 700 professionnels, et nous devons être l’un des plus gros recruteurs de Loire-Atlantique. Nous recrutions ces dernières années environ une centaine de personnes par an. Moins cette année parce que, si nous avons créé énormément de classes adaptées, nous n’en ouvrons plus actuellement faute de crédit. Nous avons ouvert il y a un an et demi une entreprise de travail temporaire, Ethic, avec sept associations, tellement nous manquons de professionnels dans les métiers du médico-social, éducateurs spécialisés, aides médico psychologiques, aides-soignants, des cadres, chefs de service, directeurs d’établissements… Nous avons un gros turn-over. Ce sont des métiers sur lesquels on reste souvent trois ou quatre ans… Et les jeunes n’ont pas forcément envie de signer de CDI. L’avantage d’Ethic est de permettre aux salariés de rester en CDD tout en pouvant travailler à temps plein, en répartissant leur temps entre plusieurs associations. Cela nous coûte beaucoup moins cher qu’une société d’intérim classique. On se partage le coût d’un salarié pour gérer la structure, et, en plus, on peut fidéliser les personnes qui au bout de quelques années peuvent avoir envie de revenir vers nos métiers de manière stable.

 

L’Adapei 44 a elle-même, en décembre 2020, été distinguée par le prix du jury pour sa politique RSE, à l’occasion des trophées RSE et performance globale organisés par l’ordre des experts-comptables et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes…

Oui, et nous avons le label Lucie*. Nous avons dû être une des premières associations à l’obtenir. Au début je disais : « Mais c’est ce qu’on fait déjà c’est évident ! » Nous avons créé un fonds de dotation qui permet aussi aux entreprises de donner du sens à leurs actions. C’est un lien très fort avec elles. Nous avons collecté près de 400 000 € en 2019. Nous avons 350 donateurs, dont 59% des dons en valeur concernent les entreprises. Il peut s’agir de fondations d’entreprise, qui fonctionnent par appels à projet, des grandes entreprises, type Airbus ou Idea, mais aussi de petites entreprises, dans le cadre d’un projet autour d’un Esat qui est à proximité. Elles cherchent ainsi un ancrage territorial, elles l’incluent dans leur politique RSE pour donner du sens à leurs actions… et ces dons bénéficient d’une déduction fiscale, ce qui n’est pas négligeable. Ce fonds sert à financer des projets qui permettent aux personnes de sortir des établissements pour des activités culturelles, sportives, ou pour aller dans des établissements pour le bien-être ou le développement des outils numériques, la médiation animale…

Les ESAT servent de plus en plus de tremplin vers l’emploi. Sophie BIETTE

* Le label Lucie certifie la démarche RSE d’une entreprise ou organisation.