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Entretien avec Daniel Ollivier : « Tout n’est pas gagné pour la génération Z ! »

Spécialiste des questions de management, installé à Nantes, Daniel Ollivier est consultant, conférencier et auteur. Avec "Les Z arrivent !" dont il est le co-auteur, il propose aux entreprises des clés de compréhension ainsi que des outils pour recruter, manager et fidéliser cette génération née entre 1996 et 2008. Entretien.

Daniel OLLIVIER

Daniel OLLIVIER, dirigeant de Thera Conseil © Benjamin Lachenal

Quelle a été votre ambition avec ce nouvel ouvrage ?

C’est un thème sur lequel on travaille depuis plus de dix ans avec Catherine Tanguy. C’est notre troisième ouvrage ensemble et le confinement en a accéléré le processus… On a voulu faire un livre pratico-pratique où l’on repart en amont sur la question de l’attractivité car, pour les entreprises, il faut déjà arriver à attirer les talents.

D’abord, parce que, pour un certain nombre de jeunes, travailler à l’étranger c’est plus sexy que de travailler en France. Je dis souvent que la sixième ville de France ce n’est pas Nantes, mais Londres ! Beaucoup de jeunes sont partis là-bas parce qu’on est dans des modes d’organisation plus souples, plus agiles, que les Anglo-saxons font beaucoup plus confiance aux jeunes et sont moins centrés sur les statuts. Ils libèrent des énergies qu’on ne sait pas encore aussi bien libérer qu’eux.

La deuxième raison, c’est qu’on se rend bien compte qu’aujourd’hui le modèle du salariat est concurrencé. Les jeunes sont de plus en plus attirés par l’entrepreneuriat. Ça a toujours été la part de rêve de toutes les générations, mais celle-ci s’en donne les moyens. Par ailleurs, avec le numérique notamment, le ticket d’entrée n’est plus aussi élevé qu’il y a dix, vingt ou trente ans. C’est donc une autre forme de concurrence pour les entreprises qui doivent les séduire pour les attirer. C’est tellement vrai qu’un certain nombre de sociétés ont levé la sécurité qui empêchait d’exercer un deuxième travail parce qu’elles se rendent compte que ces jeunes ont envie de tester des choses. Elles proposent notamment des quatre cinquièmes pour qu’ils puissent avoir du temps pour eux à côté.

Et puis, après l’attractivité, ce livre aide aussi à faire les bons choix car les erreurs de casting coûtent toujours très cher et, comme on voit bien qu’aujourd’hui il y a beaucoup de turn-over, il faut être très attentif sur le fait de proposer un contrat gagnant-gagnant. On aborde aussi le management bien évidemment et on a considéré qu’il n’était pas inintéressant de poursuivre notre réflexion avec la fidélisation. Ce qui peut paraître un contresens parce qu’on dit ces jeunes très infidèles, mais il y a pourtant des phénomènes intéressants à observer. Par exemple, si ça se passe très bien sur le plan relationnel, on peut rester dans leur réseau, donc donner envie à d’autres jeunes de rentrer dans l’entreprise, voire leur donner envie d’y revenir eux-mêmes : c’est le « salarié boomerang ». C’est pour cette raison qu’il faut être attentif à la manière dont on se sépare : ce n’est pas un acte de déloyauté, c’est tout simplement une situation normale. Beaucoup d’entreprises ont intégré cette donne-là, mais pour ce qui est de s’y préparer, c’est une autre histoire. Je ne suis pas sûr qu’elles aient complètement intégré qu’il faut créer des passerelles, permettre à ces jeunes de passer d’un poste à un autre par exemple.

 

À quoi ressemble le monde du travail que cette génération Z intègre aujourd’hui ?

Ce ne sont pas des martiens, ils ne viennent pas de nulle part. Ils sont le produit d’une société et d’une histoire. Et, finalement, leur profil correspond au mode d’organisation dont on a besoin aujourd’hui. On a besoin d’avoir des organisations agiles, ils le sont. On a besoin d’avoir des gens de plus en plus réactifs, ils sont dans une immédiateté permanente, avec ses bons et ses mauvais côtés…

 

Comment perçoivent-ils leur relation au travail ?

Si on leur pose la question de savoir si le travail est important pour eux, ils vont dire « oui » à 80%. Mais si on leur demande s’il va être prioritaire dans leur vie professionnelle, à peu près au même niveau ils vont dire que ce n’est pas le cas. Parce que, dans leur vie, il y aura un équilibre à trouver entre trois ambitions qui peuvent être concurrentes : un travail épanouissant dans lequel ils vont pouvoir trouver leur place et développer des compétences, leur vie affective et enfin le fait de garder du temps pour leurs propres projets, leur développement personnel. Sauf exceptions, on ne sera donc pas face à des jeunes qui vont se concentrer uniquement sur leur carrière professionnelle, sauf si c’est leur propre projet. Dans tous les cas, ils ne le feront pas par devoir, mais par choix. C’est une règle d’or.

En revanche, en tant que salariés, leur investissement sera conditionné par le fait qu’ailleurs ils ont d’autres vies et là-dessus, ils ne sont pas prêts à négocier !

Après, par rapport au monde du travail, ce qui est essentiel pour eux, c’est d’être dans un environnement qu’ils estiment convivial, qui génère du plaisir plutôt que du stress. Les mots qu’ils évoquent le plus souvent sont ceux de « partage », « collaboration », « travailler ensemble », « co-construction ». C’est un élément assez central.

Et, ce qui pourrait paraître paradoxal mais ne l’est pas, dans cet environnement collectif, ils veulent exister en tant que tel. Il faut donc personnaliser le management qui les concerne. On n’est pas dans le collectif au col Mao, où l’on se fond dans la masse, on est dans un collectif qui fait avancer mais où chacun a une place. Et tout cela doit se faire selon un environnement souple. Dans les entretiens de recrutement, on observe d’ailleurs beaucoup de questions sur la façon dont s’organise le travail, sur la souplesse qui leur sera accordée dans le fonctionnement, sur les relations avec l’encadrement, sur la façon dont fonctionne le collectif. Ceux qui ont la possibilité de faire leur marché choisissent une entreprise sur ces critères.

Le modèle du salariat est concurrencé. Les jeunes sont de plus en plus attirés par l’entrepreneuriat.

Et comment la génération Z est-elle perçue ?

La génération Y a fait exploser un certain nombre de stéréotypes liés au sentiment qu’ils ne voulaient pas travailler, qu’ils ne supportaient pas l’autorité, qu’ils étaient toujours en refus des contraintes et des règles. Ça, ça s’évacue. La génération Y a défriché le terrain, mais malgré tout, il reste quelques progrès à faire. Tout n’est pas gagné pour la génération Z !

Par exemple, leur côté authentique, direct, « cash » peut poser problème.

Ils sont beaucoup dans l’expression de leurs émotions. Or, dans le fonctionnement de l’entreprise, on a encore du mal à accepter l’idée d’être à ce niveau de ressenti, d’émotion, pour communiquer efficacement. Le courant ne passe pas, ils sont perçus comme irrespectueux parce qu’ils ont cette assertivité.

Ils expriment leurs émotions et en même temps, pour un certain nombre d’entre eux, ils sont assez peu armés pour prendre de la distance. C’est une génération qui n’a pas eu à se blinder, les méthodes pédagogiques ou d’éducation ayant beaucoup évolué par rapport aux générations précédentes. Aussi, quand ils se retrouvent face à des managers qui ont encore des codes de mise à distance, ils ne comprennent pas. Pour ces managers, on ne peut pas discuter de tout et ils veulent mettre des limites à la communication. À l’inverse, pour ces jeunes la communication n’a pas de limites. À partir du moment où on a une relation de proximité avec son manager, on doit pouvoir lui exprimer ses problèmes personnels. C’est pour ça d’ailleurs que les jeunes préfèrent les femmes comme managers, car elles sont plus dans l’écoute, l’empathie, la résolution que les hommes.

 

Qu’est-ce qui caractérise le plus la génération Z ?

L’authenticité est quelque chose de très important pour eux. Ils sont aussi énormément dans la notion de parité. C’est une génération intéressante pour cela. Et cette parité, c’est celle entre les hommes et les femmes, mais elle concerne aussi la hiérarchie. Pour eux, la notion d’encadrement c’est une notion de rôle, pas de statut. Ça veut dire que leurs managers ont le droit de leur demander des choses mais qu’ils ont aussi des devoirs vis-à-vis d’eux : de les informer, les accompagner, les former, etc.

Au bout du bout, leur vision du monde c’est finalement des relations entre les personnes, de même niveau. Avec cette idée aussi que les rôles sont mouvants car ils sont nés dans une époque où règne l’incertitude. Pour eux, l’idée du chef, du sous-chef, ce n’est pas possible : on travaille ensemble et à un moment donné, on peut se retrouver pilote d’un projet puis d’un autre. Pourquoi faudrait-il que le monde soit systématiquement hiérarchisé à partir du plus compétent ou du plus âgé ? Il faut que le manager ait l’intelligence de penser que l’organisation devient une responsabilité partagée. Ils ont potentiellement des projets, des idées. Tout ne viendra pas forcément de lui et il doit donc devenir un facilitateur.

Autre élément important pour ces jeunes : la notion de plaisir. Le stress est assez mal vécu, ils estiment qu’on peut travailler efficacement dans le plaisir. Et donc plus l’univers de travail est contraignant, plus il est nécessaire de le faire dans une ambiance agréable, avec des outils qui apportent de la souplesse, qui soient ludiques.

 

Faut-il révolutionner les processus managériaux dans l’entreprise ? Quels conseils peut-on donner aux managers et aux dirigeants ?

Il n’y a pas un univers aujourd’hui où il n’y a pas à réfléchir à la manière de s’adapter. Il faut innover dans la manière d’encadrer. Il faut donner de la souplesse à l’organisation, repenser la formation pour s’adapter au monde dans lequel on est. C’est à cette condition qu’on peut fidéliser les jeunes.

La clé de voûte du système pour ces générations-là, c’est le fait de créer les conditions pour leur donner la parole, les associer. Et ça, ça doit démarrer bien avant de les recruter. Il faut faire un marketing intelligent, c’est-à-dire transparent et honnête, car il y a aujourd’hui une réelle méconnaissance du monde de l’entreprise par les jeunes. Il faut donc créer cette relation en amont afin qu’ils soient moins surpris ensuite, par exemple en allant dans les écoles expliquer son métier. Il y a aujourd’hui beaucoup à dire sur les stages, sur la manière dont on joue le jeu avec eux. L’apprentissage et l’alternance sont des modes d’intégration précieux qui restent sous-utilisés et, malheureusement, avec un niveau de formation des tuteurs qui pose parfois question : il y a de la casse, avec jusqu’à 20% de ruptures de contrat.

Pour les jeunes de la génération Z, la notion d’encadrement c’est une notion de rôle, pas de statut.

Après, dans le recrutement, il y a aussi des choses à repenser. Il faut arrêter de vouloir recruter des jeunes pour des périodes de dix ou quinze ans. Ce qui est beaucoup plus important, c’est de penser au présent et non à ce qu’il y aura dans trois ou cinq ans. Et il faut le faire avec les acteurs de terrain. On voit encore trop souvent les managers opérationnels qui vont avoir en charge ces jeunes être plutôt exclus du processus de recrutement. Or, comme on est dans une relation de personne à personne, il faut que managers et jeunes se « reniflent » pendant le recrutement, qu’ils se disent les choses les yeux dans les yeux. Cette relation de confiance commence avant même la signature du contrat de travail avec le fait de savoir si on va avoir envie de travailler l’un avec l’autre. C’est ça que les nouvelles générations nous amènent : finalement, on n’intègre pas une organisation, une culture d’entreprise, on intègre des relations interpersonnelles.

 

Ça veut dire que la culture d’entreprise passe au second plan ?

Je pense qu’elle va transparaître dans les échanges. Quand le manager explique comment il fonctionne, il explique aussi ce qu’est l’entreprise et le champ de contraintes dans lequel il s’inscrit, dans la transparence. De toute façon, si c’est important pour eux, les jeunes seront allés voir le site de l’entreprise, les réseaux sociaux… Mais ils disent souvent qu’on n’y apprend rien. Ce qu’ils attendent beaucoup c’est ce qui ressort de l’entretien de recrutement, c’est ce qui va leur donner envie, ou pas, d’intégrer l’entreprise.

 

Vous soulignez que, pour la première fois, on se retrouve avec quatre générations qui travaillent ensemble. Quels sont les enjeux de la collaboration intergénérationnelle ?

On est sur un vrai sujet qui concerne les jeunes et les moins jeunes. Et l’entreprise doit mener cette réflexion avec chaque génération. Si on pense au baby-boomers, pour eux il y a le fait de se retrouver en fin de carrière dans des situations d’insécurité, avec une difficulté à s’adapter à la mouvance des organisations, à l’incertitude, au fait que l’on manifeste de moins en moins de respect pour leur expérience et leur ancienneté. Ce n’est pas facile aujourd’hui quand on a 55 ou 60 ans de finir sa vie professionnelle dans de bonnes conditions.

Avec les X, il y a la question des promesses qui n’ont pas forcément été tenues. Ils ont l’aspiration de rentabiliser leur investissement professionnel en bénéficiant du départ de la génération précédente, tout en ayant le souci de la génération Y. Cette génération-là ne se pose pas trop la question de l’antériorité mais plutôt de qui est le mieux placé. Il n’y a pas de conflit entre les X et les Y, mais on a des Y qui commencent à se dire que ce serait normal qu’ils aient des postes à responsabilité.

Finalement, on peut faire des parallèles avec la stratégie de l’entreprise au regard de sa clientèle. On sait qu’elle a tout intérêt à réfléchir sur les modalités d’achats des Y, des Z qui ne sont pas les mêmes que celles des X !

 

C’est compliqué pour une entreprise d’avoir un management aussi segmenté…

C’est beaucoup plus compliqué, mais heureusement, il y a quand même des dénominateurs communs ! Sur cette idée de collaboration par exemple, même s’il y a des divergences sur les modalités, je pense que les baby-boomers, les X, les Y et les Z peuvent se retrouver. Pour les Y c’est vital, mais les baby-boomers y trouvent aussi leur compte car c’est une manière pour eux de se fondre dans un collectif. Ça ne va pas les épanouir forcément, mais ça va les rassurer. Chaque génération peut trouver sa place. Le manager de proximité, lui, doit assurer les connexions. D’ailleurs, aujourd’hui, ses principales compétences doivent être relationnelles, il faut qu’il abandonne la compétence technique. En tout cas, on voit bien qu’on ne va pas vers la fin des managers. Les jeunes veulent un entraineur qui les entraîne, un coach qui les stimule, leur facilite la vie, crée des opportunités. Il y a, c’est certain, une exigence plus grande vis-à-vis des managers.

 

ENTREPRISE : LES Z ARRIVENT !

ENTREPRISE : LES Z ARRIVENT !

ENTREPRISE : LES Z ARRIVENT !
De Daniel Ollivier et Catherine Tanguy
Aux éditions De Boeck supérieur
288 pages – 22,50 €
Ce livre propose plus de 70 fiches pratiques pour recruter, manager et fidéliser les jeunes travailleurs de la génération Z.