Couverture du journal du 03/05/2024 Le nouveau magazine

Entreprendre et maternité : une question d’équilibre

On les appelle les “mompreneurs“, pour maman et entrepreneur à la fois. Une bien étrange contraction qui n’a pas d’équivalent au masculin. Est-ce à dire que ces femmes sont des entrepreneuses à part ? Rencontre avec trois cheffes d’entreprises qui ont fait fi des cases en assumant toutes les casquettes sans renoncer à l’une, ni à l’autre.

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Un peu plus de 30 % des entrepreneurs sont des femmes. ©Shutterstock

Un peu plus de 30 % des entrepreneurs sont des femmes. Qu’on le veuille ou non, la maternité est directement liée à l’évolution professionnelle au féminin. C’est même parfois le déclencheur qui pousse les femmes à créer un modèle que le salariat peine à leur offrir : une plus grande perméabilité entre vie professionnelle et personnelle.

C’est le cas pour Marie-Laure Monti, la fondatrice de Lab’elle & kids.  « L’entreprise est née il y a un peu plus d’un an mais le projet mûrit depuis 2018, explique l’entrepreneuse. Cette année-là, j’ai perdu notre premier enfant, à la suite d’une maladie génétique détectée in utero. Si j’avais été très suivie durant ma grossesse, j’ai fait le constat que l’“après“ ressemblait davantage à un saut dans le vide. Concrètement, il ne se passe plus grand-chose or le besoin d’accompagnement reste fort. J’étais encore salariée à Paris, quand notre fille Zoé est arrivée en 2019 suivie de près par sa sœur 21 mois plus tard… »

« Puis, nous sommes arrivés en Vendée avec deux enfants en bas âge et un projet de reconversion à mener. J’ai créé Lab’elle & kids dans l’idée de rassembler des intervenants experts dans leur domaine représentant toute la chaîne de la parentalité : du prénatal, en passant par la grossesse et jusqu’au postnatal. Notre cœur de cible : les futures et jeunes mamans avec enfants de 0 à 3 ans. Je propose des ateliers digitaux et en présentiel sur des sujets tels que l’allaitement, le sommeil de l’enfant, la prévention du burn-out parental, etc. Depuis début 2022, j’ai connecté une quarantaine de femmes avec des professionnels, réalisé une vingtaine de “lives“, organisé deux grosses sessions de rencontres physiques. Cette année, je lance un salon de la parentalité qui se tiendra au Château d’Olonne le 18 novembre. J’y réunis une trentaine d’exposants et vise les 200 visiteurs. À terme, je souhaite installer ce rendez-vous dans le temps, voire le dupliquer en Vendée et pourquoi pas au-delà du territoire. »

La création d’entreprise comme levier d’indépendance ? 

Un projet qui s’est concrétisé petit à petit, non sans sueur, admet-elle. À part le soutien de son conjoint, la jeune femme s’est heurtée dans un premier temps à l’incompréhension de son entourage proche. « Avec le recul, je me rends compte que cette inquiétude était directement liée au fait que je sois jeune maman. Quand je me suis lancée, ma petite dernière avait 6 mois et la grande 2 ans et demi à peine. On est obligé de fonctionner en priorité et de beaucoup planifier. Malgré tout, les imprévus arrivent presque tous les jours alors pour faire face, j’ai appris à m’entourer et à utiliser des moments de l’espace traditionnel de travail pour ma vie personnelle et inversement.»

« Ainsi, il m’arrive de travailler le soir et le week-end pour compenser un mercredi passé avec mes filles mais cette indépendance me permet d’évoluer à mon rythme et de définir des contours adaptés à mes ambitions. Je ne cache pas que cela reste difficile, nuance-t-elle. Les doutes et les coups de mou m’accompagnent régulièrement, c’est pourquoi j’ai intégré des réseaux de femmes entrepreneuses. Cette sororité et le partage d’expérience m’apportent beaucoup. Je veux pouvoir regarder dans le rétroviseur et me dire que j’ai osé, ne serait-ce que pour mes filles. J’espère les inspirer et leur apprendre que tout est possible. »

Revoir les priorités

Un sentiment partagé par Amandine Castaneda, codirigeante de TDO ouest, une entreprise spécialisée dans les télécommunications. À bientôt 38 ans, elle est à la tête d’une PME de 30 collaborateurs (5 M€ de CA) depuis juillet 2020, où elle a succédé à son père. Une transmission qui s’est faite alors qu’elle était enceinte de son premier enfant. « J’étais commerciale dans l’entreprise depuis une dizaine d’années et directrice générale depuis 2018, explique la jeune femme. Malgré tout, mon père restait très présent et faire ma place n’a pas été simple. Nous avons vécu tous les clichés de la transmission : difficulté à accepter la séparation d’avec l’entreprise pour mon père, à imposer ma légitimité hiérarchique pour moi… »

Elle poursuit : « J’ai fait acte de présence durant toute ma grossesse pour mériter ma place. J’avais le sentiment de ne pas avoir le droit à l’erreur. » Et d’ajouter : « J’ai arrêté de travailler le 13 septembre 2019 et j’ai accouché le 19. Mon mari, qui est aussi l’un de mes associés, est retourné au travail dès ma sortie de la clinique. Il s’est senti obligé de reprendre rapidement. Je me souviens que les appels téléphoniques continuaient à arriver : j’étais à la maison avec un nouveau-né mais travaillais en parallèle. J’avais un sentiment de culpabilité énorme. Il m’est arrivé d’entendre ma fille pleurer et de ne pas réussir à raccrocher d’une conversation pour aller la prendre immédiatement dans mes bras. »

« Au final, j’avais la sensation de tout faire mais mal, de ne pas profiter de ce dont j’avais le droit de profiter ! Rétrospectivement, c’était une période émotionnellement intense. J’ai transféré cette angoisse sur ma fille au point de m’inquiéter pour son avenir. Cela m’a doublement donné envie de la pousser à crever le fameux plafond de verre. Mes filles feront ce qu’elles veulent évidemment mais elles n’auront pas peur de la sélection ni de la difficulté. Je veux leur apprendre à aller jusqu’au bout de leur envie sans craindre le jugement d’autrui. »

Une expérience totalement différente pour l’arrivée de son deuxième enfant, il y a un mois. « Quand je suis retombée enceinte, mon père était à la retraite depuis deux ans et chacun avait repris sa place. L’équipe a été renouvelée en partie, plus jeune et plus ouverte vis-à-vis de mon désir de maternité. J’ai vite adopté un autre mode de fonctionnement : d’abord j’ai pris l’intégralité de mon congé maternité, explique-t-elle. J’ai même enregistré un message d’absence pour les clients et fournisseurs, plaisante-t-elle. Ensuite, il m’arrive de télétravailler de temps en temps mais c’est une décision assumée. Mon mari aussi a fait différemment. Depuis la naissance de notre deuxième enfant, il télétravaille la plupart du temps et s’organise pour être présent quand j’en ai besoin. On est une équipe au boulot et dans la sphère privée, analyse-t-elle. Et puis je peux compter sur le soutien de notre associé, resté sur place. Depuis mon congé maternité, je n’ai plus fait un seul devis client ! »

Elle précise : « On a la chance d’avoir une entreprise qui fonctionne, alors oui il nous arrive de parler travail le soir mais on essaie de profiter au maximum de notre chance. On met un point d’honneur à s’occuper de nos filles avec l’aide logistique de ma mère les mercredis. » Interrogée sur l’après, l’entrepreneuse se dit prête et organisée. « À la rentrée de septembre, j’ai prévu d’amener mon aînée à la piscine, chaque mercredi matin à 9 heures ! J’ai appris à me concentrer sur l’essentiel :  la gestion de l’entreprise, et confie le reste aux autres. Ma priorité reste ma famille ! »

L’importance de l’organisation

Question organisation, Laurie Boursereau, cofondatrice du cabinet Yoko RH, sait de quoi elle parle elle aussi. Cette maman de deux petites filles (3 et 7 ans) est sur le point d’accueillir son troisième enfant en novembre. Avec son associée, maman elle aussi, elles ont fondé l’entreprise autour de leurs besoins d’équilibre vie pro/vie perso. « Cela fait partie des valeurs fondamentales du projet. Il était hors de question de prendre des missions avec des déplacements à l’autre bout de la France toute la semaine par exemple. On a choisi de concentrer l’activité sur l’accompagnement RH des TPE/PME de moins de 50 salariés.  En plus d’être notre cible “coup de cœur“, c’est une typologie d’entreprises suffisamment présentes sur le territoire pour maintenir notre pérennité », explique-t-elle. Depuis 2021, Laurie Boursereau et Noémie Leflour assurent une dizaine de missions par mois et ont embauché un alternant pour les assister.

Elle ajoute : « En dehors de mon mari, Noémie a été la première personne au courant de ma grossesse. Nous avons anticipé le plus tôt possible l’impact que cela allait avoir sur notre organisation. En tant que dirigeante, il est difficile de se faire remplacer mais je sais qu’elle va pouvoir assurer une continuité pendant mon congé maternité. Si j’avais été seule dans l’aventure en revanche, cela aurait été plus compliqué », reconnaît-elle. Et de poursuivre : « Cela n’a pas toujours été le cas mais aujourd’hui, je suis à l’aise avec l’idée de prendre du temps “off“ pour mes enfants. Je mets un point d’honneur à prendre ma journée pour leur anniversaire. On s’imagine à tort que maternité et vie professionnelle s’accordent mal ensemble, que l’on doit sacrifier l’un à autre. Je pense sincèrement qu’une troisième voie est possible avec l’aide des hommes qui s’investissent bien plus dans leur rôle de papa que la génération précédente. »

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