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Économie régénérative : bon et juste pour la planète

Alors que la sixième limite planétaire vient d’être dépassée, les impacts des activités humaines continuent d’entraîner des pressions sur les écosystèmes. L’économie régénérative a pour ambition de répondre positivement à ces enjeux socio-écologiques. Fin mai, l’association Ruptur organisait une conférence à La Roche-sur-Yon sur le sujet pour en préciser le modèle et ses champs d’application possibles.

économie régénérative.

Photo de Anton Atanasov: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/worm-s-view-photographie-d-arbres-566496/

Souvent, les modèles économiques actuels se contentent de réduire les impacts environnementaux. Une fois le seuil incompressible atteint, les entreprises compensent pour atteindre la neutralité carbone, en plantant des arbres par exemple. C’est bien, mais c’est insuffisant. Avec l’économie régénérative, nous pouvons aller plus loin et avoir des impacts positifs nets sur l’environnement », juge Bertrand Thuillier. Ce chercheur au sein du centre de recherche-action de l’école Lumia (Provence-Alpes-Côte d’Azur) était récemment invité en Vendée par l’association Ruptur pour présenter son travail sur l’élaboration d’un référentiel autour des modèles économiques régénératifs. D’emblée, il a rappelé l’urgence à trouver des solutions d’équilibre. « Pourquoi viser cette soutenabilité forte ? Si beaucoup d’entreprises s’engagent dans la voie de l’économie régénérative, nous pourrons revenir vers les seuils de limite planétaire et viser un espace plus sûr et plus juste pour les humains. »

Ce concept de « limite planétaire » a été défini par une équipe internationale de chercheurs en 2009. Selon les scientifiques, il en existerait neuf à ne pas franchir si l’humanité ne veut pas compromettre les conditions favorables et de stabilité dans lesquelles elle vit depuis 12 000 ans. Or, six limites ont déjà été dépassées, dont le réchauffement climatique et la biodiversité.

Bertrand Thuillier, économie régénérative.

Bertrand Thuillier, spécialiste de l’économie régénérative ©IJ

UN DONUT INSPIRANT

À ces limites planétaires à ne pas franchir, s’ajoute un plan- cher social sous lequel il convient de ne pas descendre pour que chaque être humain puisse vivre correctement. « Ces enjeux de développement durables ont été fixés par l’Onu en 2015 : accès à l’eau et à la nourriture, à l’éducation, au logement, à l’équité, à l’égalité sociale… Les objectifs ne sont pas atteints aujourd’hui », souligne Bertrand Thuillier.

Pourtant, il serait possible de résoudre la problématique environnementale, tout en améliorant les conditions de vie de la population mondiale. Dans sa Théorie du donut, un schéma circulaire pour une économie plus juste et durable, Kate Raworth présente « un espace sûr et juste qui répond à la fois aux besoins humains de base et à la préservation de l’environnement, explique Bertrand Thuillier. On est en-dessous du plafond environnemental et au-dessus du plancher social. Cet endroit sûr, c’est là où l’on va essayer d’aller avec l’économie régénérative. »

Et pour cela, il faut s’appuyer prioritairement sur la biodiversité et le vivant. « L’érosion de la biodiversité est un risque majeur pour l’humanité, supérieur à celui du changement climatique, estime Bertrand Thuillier. En agissant sur la biodiversité, nous pouvons influer sur les autres limites dépassées : le changement climatique, la nature de l’usage des sols (moins de déforestation, moins d’urbanisation), la qualité de l’eau, l’acidité des océans… »

© Wikimedia Commons

LES MÉTHODES POUR Y ARRIVER

Passer d’un modèle économique classique à régénératif prend deux à trois ans minimum, estime Bertrand Thuillier. Pour les entreprises connectées au vivant, par exemple l’agriculture, c’est assez facile à mettre en place. Cela consiste à modifier ses pratiques pour améliorer la santé des sols, le bien-être animal, avoir plus d’équité sociale. On parle d’agriculture régénérative.

En revanche, pour les entreprises plus éloignées du vivant, c’est plus complexe. « Elles vont devoir se tourner vers le biomimétisme, les biotechnologies ou tout autre solution fondée sur la nature (phytoépuration, régulation des eaux pluviales, agriculture urbaine…), pour développer de nouveaux produits ou pour réutiliser et transformer de la matière par le vivant et en faire de nouveaux produits de qualité. »

Le chercheur a évoqué plusieurs cas concrets comme des sacs Louis Vuitton conçus avec du cuir à base de champignon ou celui de cette entreprise australienne qui utilise les effluents des brasseries et des producteurs de vin, les mélange à des bactéries pour produire un textile proche de la soie. Les avantages sont multiples : il n’y a aucun produit chimique, ces déchets ont une seconde vie et la surface pour produire est 230 fois inférieure à celle nécessaire pour tisser avec des fibres de coton.

Si l’activité de l’entreprise ne permet pas de s’appuyer sur les biotechnologies, la solution pour tendre vers une économie régénérative est d’élargir son écosystème, si possible à l’échelle locale. C’est le choix fait par Pocheco, un fabricant d’enveloppes du Nord de la France. Après avoir troqué son encre chimique pour une encre digitale, le dirigeant a installé un système de phytoépuration à base de bambous. Problème : l’usine s’est retrouvée avec un nouveau déchet à gérer, le bambou. Elle s’est alors tournée vers un menuisier du secteur qui a trouvé une machine pour le transformer en pellets, qui servent aujourd’hui à chauffer l’entreprise à la place du gaz. »

Autre cas de figure : celui des entreprises de services numériques, très éloignées du vivant. « Le numérique a un fort impact sur l’environnement. La fabrication d’un PC portable génère beaucoup de déchets et de pollution, souligne Bertrand Thuillier. À cela s’ajoute, la consommation d’énergie pour utiliser ces outils et faire fonctionner les serveurs. Les entreprises peuvent essayer de réduire ces impacts en travaillant sur leur gras numérique. L’idée est d’utiliser moins de matériel ou de le réutiliser en l’upgradant, ou encore de concevoir des logiciels moins énergivores en repensant les puissances de calcul. » L’économie régénérative en est encore à ses balbutiements et le centre recherche-action Lumia poursuit ses recherches pour identifier d’autres pistes, d’autres méthodes. Il y a urgence.

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