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Dominique Soulard : « Gautier, c’était toute sa vie »

Homme de terrain audacieux, redoutable commercial et visionnaire, Dominique Soulard était une figure charismatique de l’entrepreneuriat vendéen. Décédé en juin dernier, il laisse le souvenir d’un patron respecté et apprécié par ses salariés. Retour sur le parcours hors norme de ce capitaine d’industrie qui a consacré sa vie à faire rayonner les Meubles Gautier. Troisième et dernier volet de notre série consacrée aux sagas entrepreneuriales vendéennes.

Meubles Gautier, soulard

La famille Soulard. De gauche à droite : David, Ginette, Hervé, Dominique, Valérie et Arnaud © GAUTIER

« Mon père disait souvent : il n’y a qu’une chose de permanente dans la vie, c’est le changement, se souvient Valérie Soulard, directrice export des meubles Gautier. Pour lui, il était essentiel de toujours savoir se remettre en cause, d’avoir des idées nouvelles, d’essayer. C’était un entrepreneur audacieux. » « Dominique Soulard n’était pas un homme d’échecs, confirme Mylène Mérigeau, l’une de ses plus fidèles collaboratrices et ancienne directrice de la marque Gautier. Quels que soient les sujets abordés ou les difficultés rencontrées, il rebondissait toujours de façon positive. » « Il savait être très convaincant, renchérit son fils, David Soulard, directeur général de l’entreprise. Il avait cette capacité à y croire et à entraîner les autres avec lui. C’était un homme de terrain, un visionnaire avec un énorme charisme et un regard bienveillant.» La disparition le 21 juin dernier à l’âge de 75 ans de Dominique Soulard, président des meubles Gautier, a suscité une vague d’émotions et de témoignages unanimes.

Modèle de réussite, ce dirigeant pragmatique forçait le respect et l’admiration par son parcours hors norme, commencé à 17 ans à peine. Cet homme passionné par les produits et qui aimait les gens s’est engagé corps et âme toute sa vie pour l’entreprise. « C’était un beau chef d’orchestre avec des valeurs humaines très fortes. Il fut un grand ambassadeur de l’industrie made in France, de la marque et du groupe Gautier, confie, admirative, Valérie Soulard. Il laisse un grand vide dans nos cœurs et dans le paysage entrepreneurial vendéen. »

 

Meubles Gautier, soulard

Discours de Dominique Soulard lors de la grève de 1999 ©DR

UN REDOUTABLE COMMERCIAL

Dominique Soulard est le sixième enfant d’une fratrie de huit. Il est le fils d’Ernest Soulard, le fondateur de l’entreprise de canard éponyme, en Vendée. Cinq enfants suivent les traces de leur père dans l’essor de l’abattoir. Dominique, lui, se choisit un autre destin en acceptant la proposition de sa grande sœur Annick.

« Mariée à un fabricant de meubles installé au Boupère, Patrice Gautier, elle avait besoin d’un commercial pour l’accompagner dans la montée en puissance de l’entreprise familiale et elle avait remarqué l’aisance relationnelle de son jeune frère, explique David Soulard. Son décès brutal dans les années 1960 fut un drame pour mon père. »

En 1964, Dominique rejoint Gautier et se forme sur le terrain. « Il disait qu’il était fier d’avoir fait HEC : les Hautes études communales», raconte avec amusement sa fille, Valérie. Humble et travailleur, Dominique Soulard apprend à fabriquer des meubles avant de s’élancer sur les routes de France vendre les meubles Gautier, à l’ancienne. Personne ne connaît alors vraiment l’entreprise. Sans photo des modèles ni aucun dépliant publicitaire, juste accompagné de quelques dessins de meubles, Dominique Soulard vend avec son cœur.

« Sa force de conviction en faisait un redoutable négociateur et un féroce commercial. Il avait aussi cette capacité à analyser le marché, à sentir les choses », témoignent à l’unisson Valérie Soulard et Mylène Mérigeau.

Il n’y avait pas de frontière entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Les deux étaient intrinsèquement liées. On recevait les clients à la maison, pas au restaurant. Valérie Soulard

Et ça fonctionne. Les années 60-70 sont celles de la conquête. Les Français ont besoin de se meubler. La chambre pour enfant imaginée par Annick et Patrice Gautier est un formidable succès et contribue à la notoriété de l’entreprise.

« La stratégie de développement est déjà claire, se souvient Mylène Mérigeau, et s’appuie sur une diversification des produits pour répondre au mieux à l’évolution du marché. La marque Gautier correspond à des produits premium réservés à des enseignes d’ameublement spécialisées comme Mobilier de France, tandis que Gami propose des produits « entrée de gamme», plus accessibles, vendus dans des enseignes de grande distribution non spécialisées comme But ou Conforama. Cette stratégie commerciale élaborée dans les années 70 ne sera jamais remise en cause. »

En 1972, devenu directeur commercial, Dominique Soulard prend son bâton de pèlerin et voyage à travers le monde, sans la moindre adresse en poche. Belgique, Pays-Bas, Angleterre, Italie, Arabie Saoudite et jusqu’aux États-Unis, via des filiales, les meubles Gautier s’exportent. De 1965 à 1980, le chiffre d’affaires comme les effectifs doublent quasiment d’une année à l’autre. Le sens du contact et l’empathie naturelle de Dominique Soulard font mouche. Proche de ses clients français comme étrangers, il développera d’ailleurs des liens d’amitié avec plusieurs d’entre eux. « Lors de ses tournées, il ne s’arrêtait pas forcément à l’hôtel mais allait dormir chez des clients qu’il aimait bien », illustre son fils. « Il n’y avait pas de frontière entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle, poursuit Valérie. Les deux étaient intrinsèquement liées. On recevait les clients à la maison, pas au restaurant. Ma mère Ginette était là, dans l’ombre et s’occupait de tout. »

 

Meubles Gautier, soulard

Discours de Dominique Soulard lors de son retour parmi les équipes Gautier en 1999 ©DR

SAUVÉ PAR SES SALARIÉS

Au début des années 80, Gautier est un fleuron de l’industrie vendéenne. Après la réussite en France et à l’international, l’entreprise investit dans des entreprises en difficulté et se fragilise, alors que la crise économique freine l’activité. La sanction arrive en 1985 avec la liquidation. Le groupe parisien Séribo rachète l’entreprise. Dominique Soulard conserve sa place de directeur général. Mais des tensions apparaissent progressivement avec les actionnaires.

« Dominique jugeait leurs décisions dangereuses pour l’entreprise, témoigne Mylène Mérigeau. Mais il y avait une telle osmose entre les salariés et lui, qu’il est toujours resté discret sur ces différends, même s’il le vivait très mal. Il sentait que les décisions ne lui appartenaient plus. »

Le coup de semonce arrive en septembre 1999. La maison mère limoge Dominique Soulard. Et chose inédite, les 800 salariés se mettent en grève.

« On s’est levé comme un seul homme, raconte Mylène Mérigeau. C’était un mouvement spontané, il n’y avait aucune stratégie à la base. On voulait juste faire pression sur les actionnaires pour sauver nos emplois. Nous voulions que Dominique reste car il était l’élément moteur de l’entreprise. Les médias se sont emparés de cette histoire. Progressivement, sauver le patron est devenu un argument de communication pour sauver nos emplois. »

Si Dominique reçoit un tel soutien de ses salariés, c’est qu’il est un patron respecté et apprécié. Il connaît le prénom de chacun et ils l’appellent « Dodo ». « Il savait prendre le temps de parler à chacun, souligne David Soulard. Il habitait à proximité de l’entreprise. Le vendredi soir, il aimait faire des parties de tarot avec les gens de notre bourgade. Parmi eux, se trouvait aussi bien des cadres dirigeants que des opérateurs ou des techniciens. »

Pendant ces dix jours de chaos, un comité de soutien industriel se constitue pour assurer le retour du patron, « une sorte de solidarité dont la Vendée a sans doute le secret». Dominique Soulard décide de racheter l’entreprise, pour ses salariés mais aussi en hommage à sa sœur et son beau-frère. La somme est colossale – 128 M€- mais Dominique Soulard croit en son pari. « Je ne sais pas si cela tenait de l’inconscience, mais cette situation ne m’a jamais empêché de dormir. J’avais confiance, simplement», confia-t-il a posteriori. « Il ne voulait pas que Gautier disparaisse, précise David Soulard. Il ne voulait pas l’abandonner. Ce n’était pas une histoire d’argent car le propriétaire lui proposait un gros chèque. Je l’ai trouvé extraordinaire. Il a forcé le respect de tous. »

La reprise du travail se fait dans une « ambiance de Coupe du monde» rapporte alors la presse. Les uns après les autres, les quatre enfants rejoignent l’aventure. Valérie en 2000, David en 2002, suivis quelques années plus tard par Arnaud et Hervé.

Dominique fait alors prendre un virage important à Gautier. Il décide, épaulé par Mylène Mérigeau, de s’émanciper des réseaux de distribution traditionnels en développant son propre réseau de magasins. La première enseigne « Gautier » ouvre en 2005 à La Rochelle. Aujourd’hui, le réseau de franchisés compte plus de 120 magasins dont 75 en France. « L’objectif était de préserver la créativité et la qualité des produits Gautier et ne plus répondre à un cahier des charges dessiné par les clients, explique Valérie Soulard. Jusqu’ici, on ironisait en disant que l’on pouvait trouver des meubles Gautier partout, y compris dans une pharmacie. Ce que l’on voulait dire par là, c’est que chaque magasin présentait quelques pièces de meubles, sans identification claire pour le consommateur. La franchise a permis de représenter dans l’ensemble de nos magasins toutes les familles de produit, avec un concept global de présentation. Avant, nous vendions juste des meubles. Maintenant, nous vendons une marque et des projets. De simple fabricant de meubles, nous avons évolué vers un métier de service, d’écoute et de conseil. »

« Gautier, c’était toute la vie de notre père, conclut David Soulard. Il nous a transmis sa passion de l’entreprise. Il nous laisse un magnifique héritage industriel, fleuron du dynamisme économique vendéen. À nous de le faire perdurer. »

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