Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Des start-up dans la voie de la transition

La transition écologique dans le numérique, ce sont encore les sociétés engagées dans la démarche qui en parlent le mieux. Coup de projecteur sur ASI, Beapp et Iadvize, trois entreprises nantaises qui ont été invitées par la Cantine Numérique à partager leur expérience en la matière.

(De g. à d.) Cédric Étienne (ASI), Luc Davoust (Iadvize) et Anaïs Vivion (Beapp) ont donné des pistes aux entrepreneurs du numérique pour décarboner leur activité. © IJ

(De g. à d.) Cédric Étienne (ASI), Luc Davoust (Iadvize) et Anaïs Vivion (Beapp) ont donné des pistes aux entrepreneurs du numérique pour décarboner leur activité. © IJ

À l’heure du changement climatique, la décarbonation de l’économie apparaît comme l’un des leviers majeurs, dont s’emparent de plus en plus d’entreprises. Le 10 octobre dernier à Nantes, la Cantine Numérique organisait une soirée afin de donner des clés concrètes aux dirigeantes et dirigeants de start-up et entreprises innovantes du territoire, et montrer comment le numérique en particulier peut être une opportunité pour l’action climatique.

En préambule, c’est François Gemenne, co-auteur du sixième rapport du GIEC, qui a planté le décor en rappelant les grands enjeux de la transition écologique : émissions de CO2, hausse des températures, politiques publiques, rôle des entreprises… « Aucune action contre le changement climatique n’est inutile. Souvent, ce que vous engagerez dans votre entreprise aura un impact qui dépassera très largement son périmètre », a-t-il lancé aux entrepreneurs présents. Le chercheur voit ainsi dans l’innovation et les technologies un moyen d’amener à de réels changements des modes de vie : « La technologie peut nous aider à incarner ce projet d’action climatique et donner à voir aux gens concrètement un monde dans lequel ils aspireraient à vivre. »

« Le dirigeant doit être formé »

Donner corps à cette nécessaire transition écologique ne s’improvise pas. Selon Anaïs Vivion, dirigeante et cofondatrice de Beapp, agence nantaise spécialisée dans le développement d’applications mobiles, avant même de savoir comment ils vont transformer leur entreprise, il est essentiel pour les dirigeants d’être bien au fait des enjeux climatiques. « J’ai rejoint le parcours “Leadership régénératif pour les dirigeants“ d’Open Lande (société nantaise qui accompagne les entreprises dans leur transition, NDLR) et je me suis rendu compte qu’en fait, je n’y connaissais rien du tout. On a souvent une vision très restreinte de la RSE par rapport à tout ce qu’il y a à faire. Le dirigeant doit donc forcément être formé car ce n’est pas notre métier. » Alors, l’entreprise peut envisager des mesures concrètes, et en premier lieu la mise en place d’outils de mesure comme le bilan carbone. Pour Luc Davoust, chief of staff (bras droit de la direction) chez Iadvize, start-up qui a développé une plateforme conversationnelle dédiée aux sites de e-commerce : « Le bilan carbone, c’est la base. Il permet d’identifier les principaux postes d’émission. On en est à notre deuxième », confie-t-il. L’outil a notamment permis à l’entreprise de réduire son principal facteur d’émissions, à savoir le code : « Nos ingénieurs se mettent en quatre pour essayer de l’optimiser et le rendre le plus léger possible. »

« Diviser par deux nos émissions liées à l’avion »

Autre action déployée : « La Fresque du climat, que l’on propose à l’intégralité des employés, et qui est animée par des employés formés pour cela. C’est un levier extraordinaire pour prendre des décisions courageuses. Par exemple, on vient de décider de diviser par deux nos émissions liées à l’avion, ce qui est une décision assez difficile quand on travaille avec une équipe basée aux USA. Cette décision est beaucoup plus facile à accepter avec une équipe qui a augmenté son niveau de connaissance sur les enjeux climatiques et qui est capable de comprendre qu’un aller-retour à New York représente 2 tonnes de carbone. »

Interrogé sur les grandes actions menées par ASI, cabinet d’expertises numériques dont le siège est à Saint-Herblain, son coprésident Cédric Étienne met notamment en avant la sensibilisation des collaborateurs aux gestes écoresponsables et un travail sur la consommation d’énergie avec le choix de fournisseurs énergétiques plus responsables. La mobilité, fort poste d’émissions en raison des déplacements des consultants chez les clients, y compris en avion, a également été réduite, et la société a lancé la “Démarche Impact“ « intégrant de nouvelles méthodes de travail au quotidien pour l’ensemble des collaborateurs, pour mesurer, à chaque fois qu’on réalise une application ou intègre une solution, la création de valeur, l’impact négatif mais aussi l’impact positif, pour le client, les utilisateurs, la société, l’environnement, nos collaborateurs et l’organisation ASI ». 

Le pari d’être engagé et rentable

Business et écologie font-ils bon ménage ? Pour Luc Davoust, « la performance économique d’une entreprise ne peut pas être vue comme une fin, mais elle est un moyen au service d’un projet plus grand qui est celui de bâtir un monde dans lequel on a envie de vivre. Un dirigeant qui aujourd’hui prend conscience de ce que signifie l’accélération du dérèglement climatique ne peut plus simplement réfléchir en termes de balance bénéfices-coûts. » Avant de nuancer : « Cela étant dit, on entrevoit des coûts tangibles, notamment le temps, car quand on passe plus de 1 000 heures sur le sujet, ce sont des heures qu’on ne passe pas sur d’autres sujets plus rémunérateurs. » Malgré cela, il perçoit des « bénéfices assez inattendus » à la démarche, notamment en RH, avec un impact positif sur la fidélisation et le recrutement. « Il y a un mois, j’ai échangé avec six nouveaux salariés et j’ai été stupéfait de découvrir que pour trois d’entre eux, la démarche écologique d’Iadvize avait été un critère important. » Quant à Cédric Étienne, dont l’entreprise est par ailleurs en train de mener une démarche pour devenir société à mission, il témoigne : « Nous sommes en train d’ouvrir le capital aux collaborateurs et c’est aussi un argument pour eux pour participer à l’aventure. »

Du côté des partenaires de l’entreprise, les actions visant la transition ont aussi un impact. Ainsi, pour les banques, Anaïs Vivion souligne : « Lorsque je veux faire un prêt, elles me demandent mon bilan carbone. Et en ce moment, ce n’est pas facile de discuter avec les banques donc c’est bien d’en avoir un ! » Luc Davoust complète : « Quand on échange avec des acteurs de la sphère financière, je m’aperçois qu’il y a encore une hétérogénéité très forte, avec des fonds ultra avancés sur le sujet, ce qui n’était pas le cas il y a quatre ou cinq ans, et d’autres qui le sont beaucoup moins. Mais on sent un point de bascule avec des investisseurs qui commencent à comprendre le besoin de financer des projets à impact et de soutenir des entreprises qui portent ces projets. »

« Transformation authentique des dirigeants »

« La transformation des entreprises passe d’abord par une transformation authentique des dirigeants, assure Luc Davoust, qui enjoint les entrepreneurs à faire leur bilan carbone personnel, en choisissant « un vrai gros levier de réduction de son empreinte comme l’avion, la viande rouge ou une voiture moins grosse, et essayer de vivre cette réduction de manière positive pour montrer que cela peut être désirable. En tant que dirigeant, le fait de vivre un cheminement authentique de sobriété, est de très loin le levier le plus puissant pour transformer son entreprise ». Avant de conclure sur une citation du médecin et philosophe Albert Schweitzer : « L’exemplarité n’est pas une façon d’influencer les autres, c’est la seule. »