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Ces start-up qui ont démarré sans levée de fonds

Preuve que les start-up peuvent naître et se développer sans avoir systématiquement recours aux perfusions financières extérieures, trois entrepreneures nantaises qui ne sont pas passées par la case levée de fonds ont accepté de revenir sur les bénéfices de cette stratégie de croissance basée sur les fonds propres et l’autofinancement.

YEYE lunettes

La marque de lunettes de soleil YEYE fait partie de ces start-up nantaises nées sans levée de fonds. ©YEYE

Il n’y a pas que les licornes dans la vie ! Si la majorité des start-up sont aujourd’hui contraintes de lever des fonds, certaines arrivent encore à s’en passer. C’est le cas à Nantes de Lililotte, YEYE et Bachca, trois start-up dont la croissance est restée compatible avec la quête de liberté de leurs fondatrices.

Après 12 ans en tant que directrice marketing à concevoir des accessoires beauté pour la grande distribution, la Nantaise Camille de Bascher a constaté que son réseau sélectif (grands magasins, parfumeries, pharmacies…) « ne proposait plus que des marques de cosmétiques. J’ai alors eu l’idée en 2016 de fonder une marque plus confidentielle et proche de mes attentes de consommatrice, Bachca, dont l’objectif était de proposer des brosses et accessoires beauté de qualité au prix le plus juste et en ayant un impact réduit sur l’environnement ».

« 50 k€ de ma poche pour acheter mon premier stock »

Camille de Bascher Bachca

La Nantaise Camille de Bascher a fondé Bachca en 2016. ©Bachca

Côté financement, Camille de Bascher a concrétisé l’aventure Bachca grâce à des fonds propres : « Je n’ai pas eu recours à l’emprunt bancaire ni à la levée de fonds. J’ai mis 50 k€ de ma poche pour acheter mon premier stock et j’ai conçu un site internet qui ne m’a quasiment rien coûté. Je ne voulais surtout pas grandir trop vite et continuer à profiter de mes enfants. Et je n’avais surtout pas envie d’aller vers un système où quelqu’un me dirait quoi faire. »

Pour faire connaître sa marque, la Nantaise a participé au salon Maison et Objet à Paris : « Ça a été un super tremplin. J’y ai rencontré de grosses enseignes (Le Printemps, Le Bon Marché, Les Galeries Lafayette…) et de nombreuses boutiques indépendantes prêtes à vendre mes créations. Ces premiers clients m’ont permis de lancer Bachca sereinement. J’avais en effet opté dès le départ pour un business model sain, avec de très bonnes marges. Dès que je réalisais des ventes, je pouvais ainsi réinjecter ce chiffre dans du stock. »

« Rentable dès la première année »

Bien que la marque d’accessoires de beauté ait connu « des petits pics de croissance compliqués à gérer les premières années », ils n’ont jamais contraint sa fondatrice à réinjecter des fonds : « Mon activité a été rentable dès la première année et je me suis très rapidement remboursée. Il faut reconnaître que je n’ai pas eu besoin de me payer les deux premières années car je bénéficiais du chômage. Et le fait d’être restée seule chez moi pendant quatre ans m’a également permis de limiter les charges. »

Avec le recul, Camille de Bascher ne regrette en aucun cas « d’avoir opté pour cette stratégie de croissance car elle me permet d’être libre et de n’avoir de comptes à rendre à personne. J’ai néanmoins pleinement conscience que j’ai été très lentement là où j’aurais pu aller beaucoup plus vite. Mais c’était tout sauf mon objectif ! »

 Des investisseurs ? « Je n’en vois pas l’intérêt »

Aujourd’hui, Bachca revendique un peu plus de 1 000 revendeurs dans le monde (grands magasins, chaîne de parfumerie, concept stores) et réalise 850 k€ de chiffre d’affaires annuel pour un effectif de quatre personnes. La start-up s’apprête d’ailleurs à mettre un coup d’accélérateur : « Je me sens enfin prête à passer la seconde, confirme la fondatrice, avec l’ouverture début décembre de notre première boutique à Nantes, rue Jean Jaurès. Si elle fonctionne bien, pourquoi ne pas en ouvrir d’autres ailleurs ? Ça pourrait être effectivement notre prochain axe de développement. »

Malgré cette perspective prometteuse, Camille de Bascher n’envisage pas pour autant de faire entrer des investisseurs au sein de son capital : « Je n’en ai pas besoin, ma trésorerie est saine et je n’en vois pas l’intérêt car j’arrive à amener la marque là où je veux qu’elle aille. »

« On avance marche après marche »

La fondatrice de YEYE, Stéphanie Maudhuy. ©YEYE

S’appuyer sur ses fonds propres pour financer la croissance de sa start-up a également été la stratégie de Stéphanie Maudhuy, la fondatrice de YEYE, une marque de lunettes de soleil écoresponsables pour enfants née à Nantes en octobre 2021. « Après huit ans dans le développement produit, j’avais envie de monter une marque à mon image. Je cherchais des lunettes de soleil pour mon fils qui avait deux ans. En allant chez un opticien nantais, j’ai trouvé une centaine de références, à tous les prix, mais toutes étaient fabriquées en Asie. »

L’ancienne acheteuse/cheffe de produit de Maisons du Monde a alors cherché à fabriquer plus local et sans avoir recours au plastique pétrochimique : « Je suis tombée sur un fabricant dans le Jura, dont l’usine était certifiée origine France garantie. J’ai alors décidé d’injecter des fonds propres pour lancer la fabrication d’un premier modèle pour enfants en huit coloris, fait avec de l’huile de ricin et dont le plastique est biosourcé à plus de 60 %. » C’est ainsi que que l’aventure YEYE a débuté, Stéphanie Maudhuy s’appuyant au départ sur un site de vente en ligne à destination des particuliers.

« Développer YEYE doucement mais sûrement »

Concernant sa stratégie de développement, la fondatrice de YEYE a décidé « d’avancer marche après marche et de voir ensuite ». Un choix qui s’est rapidement avéré payant : « La marque a connu un fort engouement dès les premiers mois, où de nombreux revendeurs et opticiens m’ont commandé des lunettes. Les deux premières années, tout s’est fait en autofinancement : les commandes me permettant de réinvestir au fil des mois dans une nouvelle production. Cette stratégie m’a permis de développer la marque doucement mais sûrement et d’être dans le positif dès mon premier bilan. À l’époque, j’avais vraiment la volonté de comprendre par moi-même les filons de la création d’une entreprise en ayant les mains dans le cambouis. »

Cet engouement de départ a d’ailleurs donné des idées à certains investisseurs. « J’ai toujours refusé car j’avais pleinement conscience du potentiel de la marque. Je voulais surtout ne rien devoir à personne. Dès le départ, j’ai donc choisi de n’avoir ni salarié, ni actionnaire. »

Revendre pour faire passer un cap à la marque

Après deux ans d’existence, YEYE a écoulé près de 8 000 paires de lunettes et revendique 120 k€ de chiffre d’affaires. Sa stratégie de développement commercial s’appuie désormais sur des agents en charge du BtoB et l’entreprise fait appel à des freelances pour le graphisme et ses shootings photos. Sa fondatrice souhaitant « faire passer un cap à la marque », elle n’exclut désormais pas de la revendre : « Il y a plusieurs vies dans une entreprise. J’ai eu les papillons dans le ventre au départ, mais j’ai réalisé que je suis avant tout passionnée par la création plutôt que le développement d’une entreprise. Donc soit je passe à la vitesse supérieure en embauchant pour déléguer, soit je vends. En effet, je suis arrivée à une étape où il faut développer le projet davantage en multipliant les forces et donc en injectant plus d’argent qu’au départ pour prendre une nouvelle dimension. C’est pourquoi je n’exclus pas de laisser des actionnaires ou des investisseurs entrer au capital. »

« Ne pas brûler les ailes de la marque en allant trop vite »

Lililotte est une marque “bio chic bon genre“ pour bébés et enfants née à Nantes en 2015. Elle crée des vêtements en coton certifié GOTS[1] et des accessoires vendus au départ uniquement sur son site internet. « J’avais travaillé dans des grands groupes comme Eram et Maisons du Monde et j’ai voulu proposer des produits qualitatifs, bons pour l’environnement et les enfants », rembobine la fondatrice de la start-up, Nathalie Ganne.

Elle aussi a opté pour un financement de départ en fonds propres : « J’avais un frein vis-à-vis des levées de fonds car certaines sont purement spéculatives. J’ai donc opté pour l’option où je restais propriétaire de la start-up car je voulais voir grandir l’entreprise à mon rythme, conserver un bon équilibre vie professionnelle/vie personnelle et ne pas brûler les ailes de la marque en allant trop vite. »

Faire appel à des investisseurs pour les bonnes raisons

La fondatrice de Lililotte, Nathalie Ganne. ©Lililotte

Huit ans après sa naissance, Lililote emploie désormais quatre personnes à temps plein et enregistre environ 500 commandes par mois. « Il a fallu trois ans pour que l’entreprise soit rentable », précise sa fondatrice. Consciente que « le choix de ne pas avoir levé de fonds est toujours à double tranchant », Nathalie Ganne a elle aussi pu s’appuyer sur ses premiers clients pour autofinancer sa croissance.

Aujourd’hui, pour donner une nouvelle dimension à la start-up, elle ne ferme plus sa porte aux investisseurs : « Je ne suis pas fondamentalement contre la levée de fonds. Tout est intéressant à explorer et peut-être que demain nous y aurons recours pour assurer notre croissance. Néanmoins, il est impératif de le faire pour les bonnes raisons. Aujourd’hui, je suis convaincue que si quelqu’un doit rentrer financièrement dans l’entreprise, ce sera à condition que cette personne puisse également amener son expertise sur des sujets que je maîtrise moins, comme sur la partie digitale ou le développement commercial. »

S’appuyer sur l’expertise de l’investisseur pour grandir

Venant d’ouvrir à la rentrée sa première boutique physique à Nantes (rue Copernic), la start-up n’exclut d’ailleurs pas un changement de cap dans un avenir proche : « Pourquoi ne pas faire grandir le commerce physique, notamment en misant sur le petit commerce de centre-ville, comme à Nantes avec l’ouverture de notre boutique ? Il serait en effet très intéressant de trouver un investisseur expert des circuits de distribution sur qui m’appuyer pour compléter mes compétences d’acheteuse/cheffe de produit. Ça constituerait un véritable accompagnement qui me permettrait de faire prendre à l’entreprise une autre dimension. »

 

[1] GOTS est un label qui signifie “Global organic textile standard”. Il certifie non seulement des conditions de travail dignes mais également le respect de l’environnement et garantit un produit qui n’atteint pas la santé de ceux qui les portent.