Arrivant au terme de la première Convention des entreprises pour le Climat Ouest[1], les 62 dirigeants de Bretagne et Pays de la Loire engagés depuis neuf mois dans la démarche étaient réunis à la CCI de Nantes les 12 et 13 octobre derniers pour leur ultime session. L’occasion de montrer comment ils ont fait évoluer leur modèle d’affaire et impulsé des changements économiques, managériaux et politiques pour les réinscrire à l’intérieur des limites planétaires.
À cette occasion, plusieurs dirigeants ont dévoilé leur feuille de route. Parmi eux, Jean Vidal, président du directoire de Charier, entreprise familiale spécialisée dans les travaux publics basée à Couëron : « Depuis 125 ans, on a bétonné, artificialisé à tout va et on a clairement fait partie du problème. Étant donné qu’on veut encore être là dans 100 ans, on va maintenant contribuer à le régler. Ainsi, les 100 prochaines années ne vont pas ressembler aux 125 qui viennent de s’écouler. »
« Renoncer, réduire et réparer »
« Notre signature était depuis plus de 20 ans “Agir pour que ça dure“, poursuit le dirigeant. Notre feuille de route reste dans ce prolongement puisqu’elle s’appelle “Agir 2030”. Concrètement, on compte renoncer, mais aussi réduire et réparer. Nous allons commencer par abandonner certaines activités, mais il est prématuré de vous en dire plus. On envisage également de réduire de moitié nos émissions directes de gaz à effet de serre (Scope 1, NDLR), notamment en développant un tracteur à hydrogène. »
Pour ce qui est du Scope 3 (qui se focalise sur les émissions indirectes de l’entreprise, NDLR), Charier prévoit de « réduire son impact de 30 % d’ici 2030, complète Jean Vidal. En parallèle, on prévoit d’améliorer le recyclage des matériaux sur nos chantiers pour leur offrir une deuxième vie. Ensuite, on va s’engager à développer une grille RSE pour tous nos projets. » Pour réparer et régénérer, le groupe envisage de s’appuyer sur « de nouveaux métiers, notamment le génie écologique, qui conduit à défaire ce qui a été fait par l’homme pour le rendre à la nature. »
« Lancer dès 2025 l’actionnariat salarié »
Charier réfléchit également depuis quelques mois à ce que peuvent être des infrastructures régénératives : « Partant du constat qu’on allait construire beaucoup moins d’infrastructures neuves, on s’est dit qu’on pouvait entretenir d’une façon différente tout l’existant, détaille le président du directoire. Dans ce cadre, on a réfléchi au parking du futur. Il sera en grande partie désartificialisé et végétalisé pour lutter contre les îlots de chaleur. Un moyen d’absorber du CO2 et d’aider à promouvoir la biodiversité. On y récupérera notamment l’eau de pluie et de ruissellement. »
Et l’humain dans tout ça ? « Il faut mieux le protéger en améliorant ses conditions de santé et de sécurité au travail, déroule Jean Vidal. On va tout faire pour devenir exemplaires en lançant une vaste campagne de sensibilisation. On compte également proposer dès 2025 l’actionnariat salarié. Avec l’objectif que 60 % de nos collaborateurs deviennent actionnaires d’ici 2030. » Charier envisage enfin de lancer un indice de santé sociale qui sera un panel de différents indices humains : santé, sécurité, pollution, diversité, handicap, satisfaction des salariés…
« Repenser le stockage et la circulation des flux »
Présidente du Groupe Tesson, entreprise familiale vendéenne centenaire spécialisée dans la gestion des flux et la logistique, Priscille Gauthier a pris le relais en rembobinant le film de son arrivée aux commandes du groupe : « Quand j’ai pris la suite de mon père il y a un an et demi, j’ai réalisé que la prochaine passation de témoin ne serait peut-être pas possible… Sans travailler et avancer sur les enjeux auxquels on est confrontés actuellement, peut-être que l’entreprise ne sera effectivement plus là dans un futur proche. D’où mon engagement à la CEC Ouest. Pour que notre groupe puisse devenir un vecteur de cette transformation des flux, je me suis demandé comment repenser le stockage et la circulation en embarquant la problématique du vivant et en favorisant le bien vivre pour un futur commun désirable. »
« Reconsidérer nos activités actuelles et les réduire »
Pour embarquer l’ensemble de ses équipes (logisticiens, développeurs, ingénieurs, mais aussi actionnaires familiaux, NDLR), Priscille Gauthier a opté pour « un projet qui parle d’avenir » : « Notre premier axe de travail sera de réduire au maximum nos impacts négatifs (carbone, biodiversité). Cela implique de reconsidérer nos activités actuelles et les réduire à leur seuil incompressible. Une démarche qui doit être pensée collectivement. C’est aussi accepter de renoncer à certaines installations, notamment celles situées à l’autre bout de la France, alors qu’on pourrait plutôt créer des filiations avec d’autres partenaires… »
Tesson souhaite également « collecter de la donnée utile au pilotage durable, pas de la donnée brute qui génèrera forcément un impact négatif ». Autre enjeu identifié par le groupe vendéen : accompagner le changement. « On ne veut pas convaincre mais inspirer, car on a été inspirés au contact des autres, renchérit Priscille Gauthier. C’est en travaillant notre feuille de route et en s’appuyant sur des exemples concrets qu’on donnera envie aux autres d’agir à nos côtés. J’espère que le groupe aura réussi d’ici 2050 son pari de continuer à servir les flux vitaux, qui permettront de bien vivre dans les limites planétaires. On pourra alors envisager un nouveau passage de témoin avec l’arrivée de la cinquième génération à la tête du groupe. »
Ultime étape à venir pour ces deux entreprises : prendre leur envol en déployant cette feuille de route en interne, avec le soutien de leurs directions respectives.
[1] La CEC Ouest est un parcours de transformation, structuré en six sessions thématiques, qui s’appuie sur des constats scientifiques partagés. L’objectif est de contribuer à la transformation des entreprises et de leurs modèles économiques à visée régénérative en tenant compte des réalités de chacun et des spécificités du territoire. Plus d’infos : Cec-impact.org/cec-territoriales/cec-ouest