Couverture du journal du 04/11/2024 Le nouveau magazine

Ces avocats qui sont aussi des entrepreneurs

Porter la robe et, en même temps, prendre la casquette du startupper : c’est le choix que font depuis quelques années un certain nombre d’avocats. À l’occasion d’une journée intitulée “Instant In“ sur le thème “Exercez autrement“, le barreau de Nantes s’est penché, témoignages à l’appui, sur les activités accessoires. L’occasion de vivre, de l’intérieur, le parcours de plusieurs slasheurs¹…

Alabar

Avec son projet Alabar, Jan Danthony veut faire gagner du temps, et donc de l’argent, aux avocats qui ont des audiences. ©IJ

Depuis 2016, les avocats peuvent exercer une activité complémentaire, sous conditions. Une petite révolution dans une profession très réglementée (lire aussi l’encadré). Parmi ceux qui ont fait ce choix, certains développent une activité entrepreneuriale dans les legaltechs, plateformes numériques qui développent une offre de services juridiques dématérialisés afin d’instaurer une nouvelle relation entre clients et professionnels du droit.

Dans le cadre d’Instant In, événement organisé le 11 mai par sa commission Incubation, le barreau de Nantes proposait le témoignage de plusieurs avocats ayant endossé les habits de startuppers en plus de la robe. À l’instar de Franz Vasseur, avocat au barreau de Paris et vice-président d’AvoTech, une association réunissant une centaine d’avocats créateurs de legaltech. « Spécialisé en droit des affaires et des sociétés, à chaque émission de capital, je devais remplir sur papier les registres de mouvements de titres », raconte-t-il. Une opération fastidieuse que l’avocat effectuait à la main, à partir des tableaux Excel envoyés par ses clients. « Plutôt que de continuer cette méthode qui ne nous met pas à l’abri d’une erreur, nous avons eu l’idée avec des amis avocats de créer Registre général. Cet outil permet de remplir ces registres de titres et procès-verbaux en ligne en s’appuyant sur une blockchain privée. Une innovation qui ne pique pas le travail de mes confrères mais au contraire leur facilite la tâche au quotidien. Bref, un nouvel outil pour un monde nouveau, celui du numérique. »

Ne pas partir seul

C’est aussi avec la volonté de proposer un nouveau service, qu’Alexandra Sabbe-Ferri, avocate au cabinet Sagan à Paris, a créé sa legaltech Mesindemnites.com en 2017. Via un formulaire en ligne rempli en quelques minutes, le site permet aux employeurs de connaître le coût d’une rupture de contrat et aux salariés d’évaluer leur budget post-rupture, pitche-t-elle, avant de témoigner sur les circonstances dans lesquelles elle a entrepris son activité complémentaire. « Je me suis lancée toute seule et je suis toujours associée unique aujourd’hui. Mais rapidement, je me suis rendu compte que c’était insuffisant et j’ai donc sollicité un écosystème d’entrepreneurs du digital qui m’a beaucoup aidée et notamment financée », raconte l’avocate.

De son côté, Mathieu Davy, avocat au cabinet OriaMedia à Paris, a choisi dès le départ de s’associer pour mettre sur pied en 2015 Call a Lawyer, une plateforme de mise en relation entre les avocats et les clients, dans tous les domaines du droit. « Une legaltech, ce n’est pas juste lancer un produit innovant juridique », prévient-il : impossible de ne pas s’adjoindre des compétences complémentaires. « Le risque de partir seul, c’est de finir par baisser les bras… et de tourner en rond », alerte de son côté Alexandra Sabbe-Ferri.

Ce n’est pas le seul écueil que les deux avocats/entrepreneurs ont rencontré. À commencer par celui généré par l’impact du développement de leur projet sur leur cabinet. « J’avais une associée et l’association n’a pas résisté, reconnaît Alexandra Sabbe-Ferri. Très vite, mon associée s’est révélée réfractaire au digital : elle pensait que ça allait tuer la profession. » À l’inverse, Mathieu Davy était alors associé unique de son cabinet et il a même réussi à embarquer ses collaborateurs dans l’aventure – « ça les amusait de me voir devenir startupper à 40 ans », raconte-t-il. En revanche, il a lui aussi rencontré des difficultés avec ses associés sur la legaltech. « C’est un enjeu capital pour la réussite d’un projet de bien les choisir et en même temps, on fonctionne souvent sur un coup de cœur, avec aussi une notion d’urgence. Or, un clash entre associés, c’est quasi la mort assurée d’un projet », pointe-t-il.

Un « statut hybride »

Autre enjeu relevé : tous deux ayant fait le choix de conserver leur métier d’avocat, comment ont-ils mené de front leurs deux activités ? « Tout est imbriqué, je n’imagine pas lâcher quoi que ce soit, reconnaît Alexandra Sabbe-Ferri. En revanche, j’ai appuyé sur la touche pause de mon activité accessoire deux fois. Par deux fois, j’ai en effet été à deux doigts de mettre la clé sous la porte. »

Mathieu Davy exclut lui aussi de raccrocher la robe, d’une part par amour du métier et d’autre part parce que « le statut d’avocat confère une légitimité pour la legaltech ». Il estime néanmoins avoir eu la chance de se lancer dans cette aventure au moment où son cabinet était installé depuis un certain nombre d’années. « Comme nous étions structurés, ça m’a permis de me dégager du temps, notamment la première année. » Pour lui en revanche, son « statut hybride » a constitué une difficulté dans la recherche de financements. « On a eu des stops d’investisseurs qui nous demandaient de choisir. Pour eux, il fallait consacrer 100 % de notre temps à la legaltech. »

Alors que leur activité complémentaire est désormais bien installée, les deux avocats ont finalement adopté une stratégie opposée. « In fine, mon temps reste majoritairement dédié à mon cabinet, souligne Mathieu Davy. Call a Lawyer m’a pris du temps au début. Depuis, je me suis circonscrit à un rôle très précis de garant de la déontologie qui me prend quelques heures dans la semaine. » À l’inverse, Alexandra Sabbe-Ferri indique avoir aujourd’hui « un rôle de CEO dans Mesindemnites.com et un rôle résiduel d’avocat 3 ou 4 heures par jour ». En revanche, tous deux se rejoignent pour dresser un même constat final : « Le driver², c’est la passion ! »

 

1. Personnes qui exercent plusieurs emplois et/ou activités à la fois.

2. Conducteur.

 

Deux projets de legaltech nantais récompensés

Cinq projets de la promotion 2022-2023 de l’incubateur du barreau de Nantes se sont soumis à une épreuve bien connue des start-up : le pitch, d’une durée de sept minutes chrono, devant un jury présidé par le bâtonnier Emmanuel Follope.

Les lauréats de cette première promotion sont d’une part Noémie Chanson et Alexis Royer pour leur projet Autonoom et d’autre part Jan Danthony pour Alabar.

Autonoom est un projet d’application web qui vise à proposer des contrats automatisés aux particuliers sur la base de modèles rédigés par des avocats afin de leur garantir une sécurité juridique. Les deux avocats nantais travaillent pour l’heure sur un premier modèle de contrat pour la vente de véhicules d’occasion. Le projet a remporté le prix du jury d’un montant de 7 500 €.

De son côté, Jan Danthony souhaite avec Alabar proposer aux avocats une application smartphone afin de les aider à gérer leurs audiences, source de nombreuses heures perdues. L’avocat a remporté le prix du public, avec à la clé 5 000 €.

Les deux prix sont financés par l’Ordre.

NL

 

Des activités accessoires possibles grâce au décret Macron

Avocate au barreau de Paris et membre du Conseil national du Barreau, Sèverine Audoubert a expliqué comment les avocats ont obtenu le droit d’assurer des activités commerciales accessoires : « L’article 111 du décret Macron (29 juin 2016) a ouvert la possibilité aux avocats de procéder à la commercialisation, à titre accessoire, de biens ou services connexes à l’exercice de la profession d’avocat, si ces biens ou services sont destinés à des clients ou à d’autres membres de la profession. »

Après avoir rappelé que ces activités doivent avoir « vocation à positionner la profession sur des nouvelles technologies et des logiciels métier, tout en lui faisant gagner du temps au quotidien », Sèverine Audoubert a souligné que l’activité accessoire de l’avocat « ne doit pas devenir son activité principale en termes de temps de travail et de chiffre d’affaires ».

Elle doit également « être le prolongement de son activité principale. Autrement dit, il faut qu’elle soit connexe, et qu’il y ait un lien avec le domaine d’expertise de l’avocat ». Dernière obligation : l’avocat doit déclarer cette activité à son bâtonnier dans les 30 jours qui suivent son lancement.

« Le cœur du sujet, c’est vraiment de savoir comment notre déontologie d’avocat s’applique à ces activités accessoires, notamment en termes de publicité, de secret professionnel ou de conflit d’intérêt, a complété Chloé Nadeaud, avocate chez Lawis à Nantes. D’un point de vue pratique, on se demande comment les ordres et le bâtonnier vont pouvoir assurer un contrôle effectif a posteriori de ces différentes activités. »

À noter qu’au-delà de ces activités accessoires, les avocats peuvent également assurer des missions de mandataire sportif (loi du 28 mars 2011), immobilier (loi Hoguet du 2 février 1970) et artistique (loi du 28 juillet 2010).

NLP

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