Sauriez-vous définir avec précision où se situe votre propre limite entre ces deux mondes qui se superposent, entraînant avec elle son lot de répercussions néfastes ? Les dirigeants et les cadres, population historiquement fortement exposée au burn-out, (17,5 % des dirigeants de TPE-PME)[1] sont désormais rejoints par des profils divers, les managers et, potentiellement, tout professionnel converti au télétravail.
En offrant les moyens d’une « connectabilité » permanente, le phénomène de blurring (en anglais : flou) s’accentue chaque jour un peu plus. Même si la loi de 2017 (L2242-17 du Code du travail) offre davantage de cadre dans le respect de la déconnexion, les outils numériques se sont multipliés et contribuent à créer un « brouillage » de perception.
Dès le départ, les profils « à risque » savent qu’ils en font trop. Souvent perfectionnistes, ils sont capables de nombreux accomplissements et leur engagement pour leur entreprise n’est plus à démontrer. Avec le travail à distance, on a paradoxalement fourni les outils d’une dérive sans les préparer aux écueils d’une intrusion progressive et sournoise de ces outils dans le quotidien.
Ces aficionados du travail vont trouver des stratagèmes pour finir leurs dossiers, au début travailler un peu plus tard, puis le week-end pour clôturer un dossier urgent. Une fois cette ligne franchie, plus de limites. Certains vont se réveiller en sursaut la nuit avec l’irrépressible tentation d’envoyer un mail ou deux pour réduire la charge mentale. Ils ont aussi souvent la fâcheuse tendance à ne jamais dire non et des réticences à déléguer. Tout devient prioritaire, donc urgent. Ils sont joignables H24 et le font savoir.
Les conséquences ne sont pas anodines. Le danger immédiat est l’éloignement avec la sphère familiale. Combien de séparations se sont-elles accélérées par le travail qui s’insinue : ce coup de fil urgent à passer pendant la kermesse, ce rapport à rendre plus important qu’un concert, ce week-end romantique gâché par les notifications ?
Vient alors le risque de bascule vers le burn-out. Tant que l’énergie et la motivation sont présentes, le corps résiste comme cela pendant des mois, des années. La plupart des workaholics (les addicts au travail) mettent en place des compensations. Le déficit de sommeil est rattrapé le week-end, ils passent plus de temps que les autres en soins divers (massages, kiné…). Ces stratégies ne font qu’amplifier le phénomène et au mieux retardent l’inéluctable.
Et puis un jour, ayant pris conscience ou non des signes avant-coureurs, survient le moment fatidique. Avec la fatigue accumulée, les désillusions (manque de reconnaissance), des objectifs difficiles à atteindre, le château de cartes s’effondre. Un seul micro-évènement souvent anodin déclenche une émotion inhabituelle qui fait tout basculer.
Comment retrouver l’équilibre ?
- Prendre du recul sur ses propres comportements déviants.
- Accompagner les changements d’organisation et redéfinir des limites claires sur les horaires, l’intrusion des outils professionnels dans la sphère familiale.
Vous recevez des centaines de mails par jour ? L’explication la plus évidente, c’est que vous en envoyez ! Un tiers des mails sont envoyés via des serveurs à l’autre bout du monde pour atterrir… sur la boîte de votre collègue situé à moins de 20 mètres ! Au-delà de trois allers-retours de mails sur un même sujet, décrochez votre téléphone ou déplacez-vous pour discuter. - 80 % des cadres sont sollicités hors du temps de travail. Vous pouvez planifier aussi facilement que le contrôle parental de vos enfants des heures d’accessibilité aux applications de messagerie. Vous recevrez le reliquat à votre retour. Vous remarquerez même que, dans l’intervalle, la plupart des problèmes auront déjà trouvé une réponse.
- Descendez la pression. Alors qu’on incite les procrastinateurs à se lancer dans les actions, on va accompagner les personnes exigeantes à savourer des accomplissements moins ambitieux, à générer de la satisfaction à terminer une journée à l’heure prévue. Même si vos ados n’accueillent pas avec autant d’enthousiasme cette arrivée précoce, profitez-en pour vous octroyer une récompense bien méritée.
Créez des rituels simples (pour les télétravailleurs) :
- En début de journée : on a perdu l’habitude de saluer ses collègues, prendre des nouvelles, sentir la température. En mode télétravail, on démarre le PC et on se lance dans l’action. Comme les sportifs, conditionnez-vous dans la performance, prenez le temps d’y voir clair sur la journée à venir, organisez les priorités et séquences de travail.
- Au cours de la journée : insérez un temps pour vous, pendant lequel vous décrochez, vous changez d’air, un temps de vide permettant de penser à tout et surtout à rien.
- En fin de journée : le trajet du retour représentait le sas de décompression, ces quelques minutes dans les transports permettaient de séparer les deux univers. Créez un nouveau temps de transition, histoire de laisser les préoccupations de côté, avant de vous consacrer mentalement à 100 % à votre environnement familial.
- Créez un espace dédié au travail, ne squattez pas la chambre du petit dernier pour travailler, vous risquez de générer une confusion considérable et d’y laisser des émotions non adaptées au sommeil de votre enfant.
- Le télétravail génère de la solitude, recréez des moments de convivialité permettant de retrouver l’effet machine à café pour discuter sans autre but que de nourrir de bonnes relations avec les collègues ou vider ses frustrations.
- Remettez du plaisir dans l’univers personnel, définissez des temps choisis sur cette sphère (un défi sportif, familial, associatif…). Quelque chose qui nourrit vos valeurs, mobilise vos compétences ou des apprentissages nouveaux.
Le signe encourageant de vos progrès sera de refuser une invitation de réunion, « parce que j’ai piscine ! »
[1] Source : observatoire Amarok.