Le secteur du cannabidiol (CBD) vient de se faire couper l’herbe sous le pied. Le 31 décembre dernier, un arrêté est paru au Journal officiel, interdisant la vente de fleurs et de feuilles brutes de cette substance non psychotrope du cannabis, vantée pour ses propriétés relaxantes, antalgiques et anxiolytiques, et qui bénéficiait jusque-là d’un flou juridique.
Ces dernières années, plus de 1 700 boutiques spécialisées s’étaient ainsi engouffrées dans la brèche, générant un marché florissant de près de 2 Mds€ en 2021 en France. La Loire-Atlantique et La Vendée n’ont pas échappé à cette ruée vers « l’or vert » : on compte une vingtaine de boutiques spécialisées dans le centre-ville de Nantes, une quinzaine à Saint-Nazaire, une dizaine à La Roche-sur-Yon, aux Sables d’Olonne, à Challans. Mais aussi, plus récemment, à Ancenis, Châteaubriant et Montaigu.
Avec cette interdiction inattendue, les professionnels du secteur oscillent entre « consternation et inquiétude » car la fleur est leur produit phare, « représentant entre 50 et 80 % du chiffre d’affaires des boutiques CBD, débute un gérant nantais. Cela va se traduire par des fermetures, des faillites, des mises au chômage. Les structures qui réalisent 80 % de leur chiffre grâce aux fleurs devront forcément mettre la clé sous la porte ».
Globalement, les acteurs du secteur perçoivent donc cette interdiction « comme une menace pour l’avenir de la filière » car elle remet en question la pérennité de leur modèle économique. « Pour mon cas, cela représente entre 700 et 1 000 € de manque à gagner quotidien », poursuit un autre gérant nantais, qui préfère rester discret.
Pour les boutiques à l’offre plus variée, l’impact sera moindre, mais tout sauf anodin : « Nous nous en sortirons grâce aux ventes d’huile de CBD et autres produits dérivés (perle, miel, confitures, thé, sirops, cosmétiques…) qui représentent 50 % de nos rentrées d’argent, précise-t-on chez Vertue, à Nantes. Mais comme les marges sur les produits dérivés sont nettement moins importantes que pour les fleurs, ce ne sera pas évident de retrouver un équilibre financier. Surtout que l’on se retrouve avec un stock de fleurs dont on ne sait pas quoi faire et qui laisse un gros trou dans notre trésorerie. »
« UN PAS EN AVANT, TROIS EN ARRIÈRE »
Le patron de deux boutiques, une à Pornic qui vient d’ouvrir, l’autre à Saint-Jean-de-Monts, dénonce quant à lui l’incohérence de la mesure : « Cette interdiction est incompréhensible puisque la vente de résine et de cristaux de CBD reste autorisée. De plus, la justice européenne avait rappelé en novembre 2020 à la France qu’elle ne pouvait pas interdire le CBD. Bref, c’est un pas en avant, trois en arrière. »
Au-delà des pertes financières qu’il estime à 60 % de son chiffre d’affaires, « c’est vraiment dommage pour tous nos clients qui arrêtaient les anxiolytiques ou les antidépresseurs grâce au CBD. Sans compter tous ceux qui vont retourner se fournir en cannabis avec THC. Et il y a enfin l’impact négatif de cette interdiction sur l’image du CBD auprès du grand public : cela va forcément décourager toute la clientèle potentielle qui envisageait de le tester », poursuit-il.
« Tout n’est pas négatif, relativise pour sa part Mario Cavecchi, directeur général de la franchise Green Bee, présente à Nantes. Car l’arrêté ouvre la porte à la création d’une véritable filière française d’excellence de production agricole de CBD, avec possibilité d’extraction en France. C’est une grande nouveauté doublée d’une opportunité. » De plus, le texte en vigueur limitait la culture du chanvre aux seules fibres et graines de la plante. C’est désormais de l’histoire ancienne puisque cette autorisation est étendue à toutes les parties de la plante, dont les fleurs et les feuilles. Cette nouvelle réglementation s’accompagne également d’une augmentation du taux de THC légal à 0,3 % de THC (contre 0,2 % auparavant) pour s’aligner sur la future législation européenne.
UNE INTERDICTION TRÈS PEU RESPECTÉE
Selon le gouvernement, cette interdiction se justifie par une décision de santé et d’ordre public. Car lors des contrôles, les forces de l’ordre n’ont aucun moyen de différencier une fleur chargée en THC, à l’effet psychoactif, d’une autre chargée en CBD. « Une excuse qui ne tient pas la route, pour le vendeur de la Galerie du Chanvre, aux Sables d’Olonne. En Suisse, la police dispose depuis trois ans de tests efficaces et rapides qui lui permettent de distinguer les deux molécules pour seulement 2 €. »
Depuis le 2 janvier, date d’application de l’arrêté, toutes les boutiques sont censées avoir stoppé la vente de fleurs de CBD. Une interdiction pour l’instant très peu respectée, car plusieurs recours ont été engagés par les représentants de la profession. Plusieurs organisations ont effectivement manifesté leur volonté d’attaquer le texte devant le Conseil d’État, le jugeant contraire au droit européen. Le Conseil constitutionnel a rejeté vendredi dernier une question prioritaire de constitutionnalité déposée par des associations de cannabiculteurs attaquant l’arrêté publié le 31 décembre dernier. Et l’Union des professionnels du CBD a elle aussi déposé un recours, qui sera examiné le 14 janvier prochain. Bref, le début d’une longue bataille juridique en perspective.