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Santé du dirigeant : un capital à préserver

« On parle beaucoup de la santé mentale des salariés. Qu’en est-il de celle des dirigeants ? » Cette question était le point de départ d’une conférence proposée le 18 novembre dernier à la CCI Vendée. Devant un parterre d’une quarantaine de chefs d’entreprise, Brigitte Baudry, psychologue du travail, a détaillé les signes qui doivent alerter et donné des pistes pour agir.

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Les dirigeants font souvent passer au second plan leur santé. ©iStock

« Nous avons pris récemment conscience que le dirigeant pouvait lui aussi être un élément fragilisé, tout particulièrement depuis la crise sanitaire », analyse Brigitte Baudry, psychologue du travail au sein du Restev (lire l’encadré). Il a en effet fallu attendre l’année dernière (soit 75 ans après la création de la médecine du travail) pour que la notion de santé du dirigeant entre dans la législation[1]. L’employeur peut désormais bénéficier d’un suivi de santé au même titre que celui de ses collaborateurs.

S’il s’agit d’une véritable avancée, encore faut-il que les dirigeants prennent conscience de la nécessité de se préoccuper de leur santé. Garants de la sécurité et du bien-être de leurs salariés, les chefs d’entreprise font encore bien souvent passer leur propre état de forme au second plan. « En tant que dirigeant, il faut commencer par prendre soin de soi pour ensuite prendre soin de ses salariés et de son entreprise », recommande Brigitte Baudry, consciente du travail à réaliser pour faire évoluer les mentalités. Selon une récente étude[2], la plupart des dirigeants français affirment avoir un bon niveau de forme psychologique (76 % sur le plan personnel, 69 % au niveau professionnel), toutefois la moitié des personnes interrogées dit ressentir de la fatigue, liée notamment à des troubles du sommeil. Et surtout près de sept dirigeants sur dix indiquent souffrir d’au moins un trouble de santé : troubles cognitifs, physiques, concentration, mémoire ou encore difficultés de prise de décision.

Des risques psycho-sociaux spécifiques aux dirigeants ?

D’après la définition de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Le travail est un vecteur de santé mentale, en participant notamment à la réalisation de soi, en développant l’intelligence, les compétences ou encore le lien social. Mais parfois aussi, l’activité professionnelle peut dégrader l’état de santé en exposant les actifs à de multiples facteurs de risques : charge de travail, amplitude horaire, contraintes émotionnelles, ou encore exposition à des conflits ou des violences internes et externes. On parle alors de « risques psychosociaux »[3] parce qu’ils sont à l’interface de l’individu (la dimension psychique) et de sa situation de travail (le social). Salariés et dirigeants peuvent ainsi être soumis aux mêmes situations génératrices de stress et développer des pathologies plus ou moins graves telles que l’augmentation des erreurs, la fatigue, l’anxiété ou, pire, le développement de maladies cardio-vasculaires.
Le statut particulier du dirigeant implique lui des risques différents. Tout d’abord, parce que « certains déterminants du stress sont minorés chez les chefs d’entreprise », explique Brigitte Baudry. Ayant, en règle générale, un goût de risque plus accru, ils sont en théorie libres de prendre les décisions qui leur conviennent. Cependant, « d’autres déterminants de stress sont majorés, voire spécifiques aux dirigeants », au regard de l’importance de leurs responsabilités (financières et morales), du nombre d’heures de travail généralement plus élevé qu’un salarié (60 heures hebdomadaires en moyenne), de l’engagement affectif fort et patrimonial, ou encore en raison de la frontière poreuse entre vie personnelle et vie professionnelle, tout particulièrement depuis la crise sanitaire avec la généralisation des outils informatiques. « Aujourd’hui, tout le monde peut remplir votre agenda. Vous vous retrouvez toute la journée avec des visioconférences… sans la possibilité de prendre du recul et de vous réserver du temps pour vous », souligne Pascal Couffin, conseiller en gestion d’entreprises chez Wics, cabinet de conseil en gouvernance cognitive.

Isolement et spectre du burn-out

Ajoutons à cela des contraintes conjoncturelles. Dans un contexte marqué par des tensions de recrutement, d’approvisionnement des matières premières ou encore de flambée des prix de l’énergie, la pression s’est en effet accentuée sur les dirigeants qui veulent à tout prix « rester forts », avec en ligne de mire le risque de s’isoler. Tarek Tarrouche, président de l’Umih 85 (l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie) rapporte plusieurs cas de restaurateurs « dans un état psychologique avancé, souffrant de solitude ». Avec aussi « un sentiment d’injustice, après avoir fait tout ce qu’ils pouvaient pour leurs salariés, qui parfois décident quand même de partir », ou bien face à l’administration qui estime que « l’affaire n’est pas rentable, malgré les efforts fournis jour et nuit ».
Le dirigeant soumis à un stress permanent est alors en proie au redoutable burn-out qui s’installe en trois phases : suractivité professionnelle, voire acharnement, puis fatigue intense, perte de l’estime de soi avant l’effondrement psychique et physique, avec pour conséquence une perte des capacités cognitives qui ne se récupèrent pas toujours à 100 %.

Des leviers pour agir

Avant d’atteindre ce seuil fatidique, il existe bien heureusement des solutions que Brigitte Baudry est venue présenter. Parmi les pistes proposées figurent la possibilité d’impliquer ses salariés dans les projets de l’entreprise avec la mise en place d’un management participatif, ou encore la décision de former un ou plusieurs de ses collaborateurs afin de pouvoir déléguer. En tant que dirigeant, il est aussi intéressant de se former. « C’est un levier d’estime de soi » assure Karine Laborde, consultante formatrice en RH pour le cabinet KL Conseil & Formation. De leur côté, les CCI, Chambres des métiers et de l’artisanat, communauté de communes, ou encore la Région met à la disposition des dirigeants un panel d’outils pour la gestion de leur entreprise. Citons par exemple le dispositif « Comment va ma boîte » de la Chambre de commerce et d’industrie de Vendée qui permet de réaliser en ligne un autodiagnostic de la santé de sa société avant de demander, si besoin un accompagnement expert de la CCI. La solution « PREvention santé des chefs d’entreprise » de la Chambre de métiers et de l’artisanat des Pays-de-la-Loire consiste notamment à mettre en place des actions ciblées pour investir et préserver sa santé au travail, en lien avec la performance de son entreprise.
Enfin, les organismes tels que le Restev, l’Aract, la Carsat et l’OPPBTP[4] proposent des aides et des conseils en matière de prévention santé. À la clé, une écoute et un suivi médical avec un infirmier ou un médecin du travail. Quant au service téléphonique Allo PME de la CCI Pays-de-la-Loire, au numéro gratuit et confidentiel de la CMA et au numéro vert mis en place par la Région depuis le premier confinement, ils sont toujours ouverts.[5]
Le mot de la fin revient à Jean-Louis Pascreau, président de l’entreprise Bien dans sa maison spécialisée dans les services à la personne. « En tant que dirigeant, on se fixe parfois des objectifs trop hauts. Il faut savoir déléguer. Si un jour je me retrouve à un niveau de stress trop important, je passerai le relai ou vendrai mon entreprise. »

Le Restev

Créé en 2011, le Restev (Réseau santé au travail d’entreprises de Vendée) est une association de type loi 1901, qui compte quatre antennes dans le département, à La Roche-sur-Yon, aux Herbiers, à Montaigu et aux Essarts. Présidée par Patrick Rangeard, PDG de la Confiserie Pinson, la structure réunit une équipe de médecins, infirmiers, psychologues du travail ou encore de techniciens. Sa mission est de conseiller les employeurs et les travailleurs adhérents afin d’éviter toute altération de la santé des salariés du fait de leur travail.

[1] La loi Santé au Travail du 2 août 2021 est entrée en vigueur le 31 mars 2022.

[2] Baromètre 2022 OpinionWay – Fondation MMA « Forme et état d’esprit des dirigeants »

[3] Les risques psycho-sociaux (ou RPS) sont des risques professionnels « pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi, les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental » (Collège d’Expertise des RPS -2011).

[4] Aract, Action régionale pour l’amélioration des conditions de travail. Carsat, Caisse d’assurance retraite et santé au travail. OPPBTP, Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics.

[5] Allo PME : 02 40 44 60 01, N° gratuit et confidentiel de la CMA : 06 49 275 263, N° vert de la Région Pays-de-la-Loire pour les entreprises : 0800 100 200.

 

 

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