24000 tonnes de pommes de terre, 22000 tonnes de viande bovine, 6300 tonnes d’œufs… Si on connaît le tonnage de la consommation alimentaire des 1,5 million d’habitants de Loire-Atlantique, il existe un indicateur plus signifiant, à l’heure où la crise sanitaire a posé une lumière crue sur les enjeux d’autonomie et de résilience alimentaire. Quelle proportion de ces aliments émane de la production locale? C’est une des questions que pose l’Auran (Agence d’urbanisme de la région nantaise) dans une étude publiée mi-juillet et intitulée « (Re)localiser notre alimentation, quels enjeux en Loire-Atlantique? »
Premier constat : « La production agricole peut être localement forte sans toutefois être orientée majoritairement vers une consommation de proximité », soulignent les auteurs. Le département, avec 62% de sa superficie occupée par l’agriculture, voit ainsi sa production fortement captée par les grands noms de l’industrie agroalimentaire. De fait, « les territoires pèsent peu aujourd’hui sur l’organisation et le fonctionnement d’une filière économique essentielle, constituée autour d’une multitude d’acteurs spécialisés et d’une poignée de grands groupes privés de dimension nationale, voire internationale », constate l’Auran.
Exemple très signifiant: celui de la production laitière. La très grande majorité des 900 millions de litres de lait collectés par les six grandes laiteries chaque année est exportée vers d’autres régions françaises et à l’étranger. Alors que la Loire-Atlantique, avec un cheptel de 130000 vaches laitières, est un des premiers départements français pour l’élevage des bovins.
Les ventes directes, une petite part des achats
Par quels moyens l’offre agricole locale peut-elle rencontrer la consommation liée aux habitants des territoires? Par une organisation des producteurs, estime l’Auran, qui pourraient se structurer pour répondre à la demande croissante de consommateurs de plus en plus intéressés par la possibilité d’acheter local et en circuit court. Pour preuve : la part des ventes directes, du producteur au consommateur, déjà pratiquées en Loire-Atlantique par une exploitation sur quatre. Mais qui représentent, en quantité, une part minime des achats alimentaires. Les producteurs, très généralement, ne pratiquent pas exclusivement la vente directe, mais en font un moyen supplémentaire de commercialisation. L’offre, atomisée en petits volumes dans de nombreuses fermes, ne pourra pas croître si le même modèle perdure, pointe l’Auran. Elle reste de plus assez cantonnée à certains types de produits : le vin (pour 60 à 70% des exploitations), les fruits et légumes (40 à 50%), mais est peu présente dans les productions de viande, volailles et œufs (10 à 15%) et très « ponctuelle » pour le lait et les produits laitiers (1 à 2% des exploitations). « Renforcer la part d’autonomie alimentaire des territoires suppose de dépasser la seule question de la vente directe, pour structurer plus largement des formes de mutualisation et d’optimisation des circuits alimentaires locaux », dit l’étude. En proposant, par exemple, des plateformes communes de vente à distance…
Les limites de la distribution
Les grandes et moyennes surfaces pourraient-elles cependant représenter une des voies d’avenir pour une consommation plus locale? Si on peut constater dans certaines enseignes de la grande distribution, un effort pour proposer des produits du cru, notamment en contractualisant avec des producteurs du département, l’Auran souligne cependant les limites de cet effort, mis à mal par un type d’organisation spécifique. La grande distribution compte 230 établissements dans le département, et seulement 9% des points de vente. Mais elle concentre plus de 80% des surfaces de vente dédiées à l’alimentation. « Leur capacité à intégrer une offre locale reste, à ce stade, très limitée par l’organisation de leurs chaînes logistiques, fortement concentrées depuis les grandes centrales d’achat alimentaire », relève l’Auran. Or, l’efficacité des chaînes logistiques et l’optimisation des process conduisent notamment à « mettre en concurrence des productions agricoles éloignées de leur zone de consommation. »
Côté commerces de détail alimentaires et magasins de fruits et légumes, qui représentent 36% des formats de vente en 2019 contre 24% dix ans auparavant, de nombreuses pistes s’ouvrent, amplifiées par la crise sanitaire. Développement de l’e-commerce, de formats de vente « alternatifs » (drive fermiers, magasins de producteur…). Cependant, «les initiatives engagées localement sont encore trop peu structurantes pour avoir un effet levier», souligne l’Auran. L’agence engage les collectivités à s’emparer du sujet, « pour faire converger les opportunités et volontés locales», notamment en sondant la population afin d’évaluer les besoins alimentaires locaux et inciter à la structuration de nouvelles filières. Exemple: les productions de fruits et légumes, qui se déploient massivement au sud et à l’est de la métropole nantaise et «semblent, à première vue, pouvoir couvrir les besoins alimentaires des habitants ». Certes, mais seulement 35% des surfaces dédiées au maraîchage sont destinées à la mâche, 24% à la production de haricots verts et petits pois, 9% aux radis et 7% aux poireaux. On ne peut pas parler de monoculture, mais d’un manque de diversification, regretté par l’Auran, qui estime qu’à côté de ces productions dominantes, «il peut exister une multitude de productions secondaires orientées vers des filières de proximité (fruits rouges, légumineuses…)». Organisation des producteurs locaux, diversification, évolution de la distribution… le chemin est encore long vers un « consommer local » qui porte pourtant de forts enjeux.
Quid des marchés ?
Si 160 marchés dits de « plein vent » sont présents sur le territoire, les producteurs locaux n’y sont pas majoritaires. Ils représentent 40% des exposants, contre 60% de détaillants qui s’approvisionnent auprès des grossistes et commerces de gros. Or, 40% des produits proposés par ces derniers ont une origine nationale ou internationale.