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Procédure collective  : Pourquoi les créanciers ont intérêt à abandonner une partie de leur créance ?

Les abandons de créances sont parfois décisifs pour le redressement d’une entreprise en procédure collective. En effet, cela lui offre à la fois un allègement de son passif, le moyen de reconstituer ses capitaux propres et un soutien pour faciliter l’adoption d’un plan de sauvegarde ou de continuation. Ce levier, bien qu’extrêmement difficile à obtenir, peut s’avérer une stratégie gagnante non seulement pour les débiteurs qui en bénéficient, mais également pour les créanciers qui en retirent aussi des avantages indéniables.

Christophe Thénoz

Christophe Thénoz, expert-comptable, cabinet De Facto Conseil. Photo ARP - IJ

Déductibilité fiscale de l’abandon de créance pour le créancier

Quel que soit le caractère de l’abandon de créance (commercial ou financier), le créancier a la possibilité de déduire fiscalement l’abandon consenti lors d’une procédure de sauvegarde, d’un redressement judiciaire, ou même d’un accord de conciliation. Néanmoins, un plafond a été fixé par le législateur avec une déductibilité limitée à la situation nette négative du débiteur.

Pour une créance initiale de 10 000 euros, par exemple, le créancier qui consent un abandon de créance de 65 % (soit 6 500 euros) pourra récupérer fiscalement 1 625 euros d’impôt sur les sociétés (avec un taux d’IS à 25 %). Dans ce cas de figure, le créancier récupérera dès l’arrêté du plan 51,25 % de sa créance (soit 5 125 euros), soit le paiement cash de 3 500 euros (les 35 % de la créance) plus le crédit d’IS de 1 625 euros.

TVA immédiatement récupérable en cas d’abandon de créance

Si le créancier est soumis à la TVA sur les débits, il a déjà reversé au Trésor public la TVA même si la créance est impayée depuis l’ouverture de la procédure collective. Aussi, si aucun abandon de créance n’est fait, le créancier devra attendre la fin du plan pour récupérer cette taxe. Pire, si la procédure collective est convertie en liquidation judiciaire, c’est l’obtention d’un certificat d’irrécouvrabilité qui permettra de récupérer cette TVA. Or, un tel document est délivré par le mandataire judiciaire, souvent plusieurs mois après l’ouverture de la liquidation judiciaire. La stratégie gagnante pour un créancier soumis à la TVA sur les débits est d’accepter un paiement cash, certes avec abandon de créance, pour acter les choses de manière définitive et pouvoir récupérer immédiatement cette TVA.

Absence d’aléas si choix de l’option cash versus un plan de continuation incertain

Avec près de 70 % des procédures collectives qui finissent en liquidation judiciaire, le créancier a souvent intérêt à récupérer le maximum de cash au plus vite, et ce, dès l’arrêté du plan. Cela est sécurisant pour le créancier, quitte à abandonner une partie de sa créance.

Soutenir l’entreprise en difficulté et poursuivre la collaboration

Sur le plan du business, il est parfois intéressant pour un partenaire, un fournisseur ou même un banquier d’aider son client en allégeant son passif. Les chances de rebond s’en trouveront augmentées, ce qui facilitera le développement économique des deux acteurs. Ce soutien est souvent payant pour la relation d’affaires ultérieure.

Ne pas subir l’inflation

Un plan de continuation sur dix ans n’est pas favorable aux créanciers qui subissent l’inflation. En effet, un échéancier en progressif sur une longue période, tel que proposé dans la stratégie exposée ci-après, ne revient, inflation déduite de 4 %/an, qu’à seulement 73,6 % de la créance. On est loin des 100 % espérés. Et encore, si le plan est interrompu par une conversion en liquidation judiciaire, le recouvrement de créance s’arrête et le taux de récupération de créance est très progressif avec un taux de seulement 30 % après la 7e année. D’où une forte incitation à accepter 30 ou 35 % de la créance dès l’arrêté du plan.

Pouvoir activer la contre-garantie des partenaires bancaires

En effet, si la banque choisit l’option à 100 %, il lui sera impossible de demander une quelconque contre-garantie puisque théoriquement, la banque sera entièrement remboursée à terme. En revanche, en choisissant l’option cash, mais avec abandon de créance, la contre-garantie PGE ou Bpifrance pourra être activée sur cet abandon.

Par exemple pour un PGE de 100 000 euros : le banquier qui accepte un abandon de 65 % se verra payer dès l’arrêté du plan 35 000 euros. Parallèlement, il sollicitera l’État pour être remboursé de 90 % de 65 000 euros, soit 58 500 euros. Dans ce cas, le banquier recevra immédiatement 93,5 % de sa créance.

Au niveau comptable et réglementaire, ça peut être la double peine

Il est fréquent que le créancier provisionne sa créance avant ou pendant l’ouverture de la procédure collective. Si l’option à 100 % est choisie, le créancier n’aura d’autre choix que de reprendre cette provision et devra payer des impôts.

Au niveau réglementaire principalement pour les banques (notamment Bâle III), les créanciers bancaires sont pénalisés s’ils conservent les créances sur des entreprises en difficulté. Donc, autant accepter d’abandonner une partie de la créance dans le cadre d’un plan d’apurement.

 

Stratégie pour convaincre les créanciers

 

 

1. Prévoir un plan de remboursement progressif pour l’option à 10 ans
Graphe 1

2. Proposer plusieurs options d’abandon de créance
Graphe 2

3. Convaincre les créanciers un à un, sans attendre la circularisation du plan

Pour ce faire, nous proposons généralement un plan d’action en trois étapes.
D’abord, sensibiliser la direction et les forces vives de l’entreprise pour aller à la rencontre des créanciers et leur expliquer tous les avantages pour eux d’opter pour un abandon de créance et soutenir l’entreprise.
Ensuite, préparer un document de présentation et un formulaire qui permet à chaque créancier de se prononcer sur l’option du plan choisi. Certes, ce document n’a aucune valeur juridique (seule une réponse envoyée au mandataire judiciaire a une réelle valeur juridique), mais cela permet aux créanciers de se projeter et de réfléchir au sujet.
Enfin, faire du lobbying auprès des personnalités publiques ou politiques, syndicat professionnel, association… pour que tout le monde soit au courant que l’entreprise a besoin du soutien de tous. Insister sur l’enjeu social du dossier et du nombre d’emplois directs et indirects que le dossier génère et la possible liquidation si rien n’est fait.

Nous préconisons de contacter les créanciers dans l’ordre suivant : les fournisseurs réguliers et les partenaires de l’entreprise, car plus faciles à convaincre ; les établissements bancaires et les partenaires financiers ; et seulement en dernier les créanciers publics. En effet, ces derniers doivent être saisis via la Commission des chefs de services financiers (CCSF) en coordination avec l’administrateur judiciaire, sur la base ses abandons de créances déjà obtenus auprès des créanciers privés (ne pas oublier d’inclure dans ce total les efforts de l’actionnaire comme des abandons de comptes courants).

Rappel des conséquences pour le débiteur

Le bénéficiaire de l’abandon de créance doit imposer fiscalement ce gain exceptionnel. Néanmoins, une entreprise en difficulté bénéficie généralement de déficit reportable lui permettant de ne pas avoir de fiscalité sur du profit exceptionnel. La limite de déductibilité est d’un million d’euros par an, auquel s’ajoute 50 % du bénéfice excédent de ce montant.

Conclusion

Les abandons de créances sont un puissant levier pour aider les entreprises en difficulté à surmonter le mur de la dette et permettre une poursuite d’activité. Aussi, il est important de bien comprendre les impacts fiscaux et financiers des abandons de créances afin de bâtir une stratégie gagnante pour tous.
​​​​​​Le plan d’action préconisé par De Facto Conseil permet de faciliter l’adhésion de toutes les parties prenantes et de maximiser les chances de succès des plans de continuation.​​

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