Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Pourquoi « le commerce de la flemme » ne l’emportera pas

Non, le "commerce de la flemme", entendez le e-commerce, n’est pas en train de prendre le dessus sur les magasins où se déplacent encore de nombreux clients. La question provocatrice "Le commerce de la flemme change-t-il la donne ?" a été posée dans le cadre de l’une des tables rondes de la conférence annuelle de la RICS¹ 2022 à Nantes le 6 octobre dernier.

Commerce de la flemme RICS

© iStock

Les enseignes s’adaptent aux habitudes de consommation tandis que celles-ci ne cessent d’évoluer dans un contexte qui s’avère complexe, à l’aune de l’évolution inflationniste. « Les Français sont sous tension avec une hausse des prix de 10 %. Pour préserver la valeur des euros qu’ils ont dans leur porte-monnaie, ils se tournent vers les enseignes qui ont la meilleure image/prix, Leclerc pour les hypers et Lidl pour les discounteurs. L’inflation est le meilleur ambassadeur de leur performance. Et dès qu’il peut diminuer les quantités, le consommateur le fait, comme il peut descendre en gamme d’un cran. C’est un phénomène que l’on n’a pas connu en trente ans », reconnaît Olivier Dauvers, journaliste, expert en grande distribution. « L’année 2023 sera celle de la transition, on devra tous s’adapter. On voit bien qu’il y a corrélation entre inflation et déconsommation », estime quant à lui Laurent Bonnet, directeur immobilier de Fnac Darty.

Mais les consommateurs achètent-ils plus en ligne et le e-commerce risque-t-il de supplanter les magasins physiques ? On en est loin, si l’on écoute Laurent Bonnet ou Thierry Cotillard, président de Perifem (fédération technique du commerce et de la distribution), et ancien président d’Intermarché. La progression du e-commerce est très forte, avec une part de 20 à 30 % dans l’électronique, mais de seulement 7 % pour l’alimentaire.

Les freins du digital

« Le digital connaît une légère régression. Avant le Covid, l’enseigne Intermarché faisait entre 4 et 5 % de son chiffre en drive et en digital. On est montés à 10 % puis retombés à 7 %. Sur ce marché les choses vont encore bouger », prévient Thierry Cotillard.

Paradoxalement, la progression du chiffre d’affaires online progresse plus vite chez les détaillants physiques que chez ceux qui se consacrent uniquement au digital. Ce que confirme Laurent Bonnet : « À la Fnac, nous sommes au-delà de 25 % et cela continue à progresser. La progression online est plus importante chez les commerçants physiques qui se sont mis à un commerce digital que chez les “pure players”. Leur croissance en ligne est quatre à cinq fois supérieure. Les commerçants innovent et se sont saisis de ce marché digital et c’est très positif. Pour notre part, nous regardons notre rentabilité de manière globale, avec la multitude des canaux. »

Pour autant, tout le monde ne pourra pas profiter de l’e-commerce car le coût de la livraison ne se répercute pas de la même façon sur un smartphone à 1 000 € que sur un livre à 5 €. « C’est la question du rapport poids/prix/volume », rappelle Olivier Dauvers.

Par ailleurs, la grande distribution française s’inquiète de la stratégie de prédateur des géants mondiaux du digital comme Amazon, qui pourraient débarquer sur le marché des magasins physiques. « Est-ce que nous, les champions nationaux, existeront demain ? s’interroge Thierry Cotillard. C’est toute la question des coûts de distribution. Nous existerons demain en les maîtrisant. »

Le magasin, pierre angulaire du commerce digital

Pour Laurent Bonnet, la proximité reste un atout énorme : « On doit faire de nos magasins la pierre angulaire de notre commerce digital. Un pure player ne gagne pas d’argent. Amazon gagne beaucoup plus sur le cloud que sur le e-commerce. Il faut avoir une stratégie de fidélisation des clients, avec un abonnement. Amazon est notre premier concurrent sur notre secteur d’activité. Et si nous sommes toujours là, c’est que nous sommes capables de proposer des voies alternatives. Nous utilisons notre réseau physique pour conduire une stratégie omnicanale. 47 % de nos ventes online sont dirigées vers un magasin pour être retirées. Il y a là l’économie du coût de transport et un système vertueux : les magasins physiques rendent rentables le canal digital différemment d’Amazon. Et cela permet de créer du flux sur le magasin physique en habituant le client à toujours venir en magasin. »

Quant au modèle économique du quick commerce (concept de livraison de courses avec un délai ultra rapide), il ne semble plus tenir. Les porteurs de concepts de darkstores semblent tous tomber au champ d’honneur au fil des mois, passant de dix à quatre en un an. « Ce modèle n’est pas pertinent », juge Thierry Cotillard. « Et ces quatre acteurs du quick commerce ne réalisent un chiffre d’affaires total que de 250 M€, soit l’équivalent d’un gros hypermarché », constate Laurent Bonnet. « La promesse du quick commerce d’une livraison en dix minutes n’existe plus et n’est pas tenable au juste prix. C’est vraiment un fantasme », estime de son côté le journaliste Olivier Dauvers.

Pour toutes ces raisons, le développement du commerce en ligne ne doit pas être vu comme une menace pour le commerce physique mais bien comme une opportunité de se réinventer et de retrouver ses fondamentaux. « En étant de vrais commerçants, près des gens et en étant moins chers. C’est le contrat de base avec les consommateurs », résume Thierry Cotillard. Dès lors, le service reste bien l’un des points fondamentaux. « Il doit être poussé au maximum, c’est un des leviers essentiels pour que le client vienne en magasin », rappelle le directeur immobilier du groupe Fnac Darty. « Mais il faut aussi accepter le fait que demain, il faudra réduire les surfaces et rester très accessibles » prévient Olivier Dauvers. Ce que confirme Laurent Bonnet : « On ne peut opposer périphérie et centre-ville, le consommateur va où c’est facile pour lui. Le commerce continuera a évoluer et les lieux d’implantation aussi. On a beaucoup décrié les centres commerciaux. Or, on voit qu’ils retrouvent une certaine résilience. »

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