Le premier contact avec Milad Nouri est tout à la fois illustré et illustrant. À la lecture de Bienvenue en Chine, la bande dessinée dont il est le co-auteur 1, on découvre son parcours d’expat’, en pleines « golden years ». Les pérégrinations de ce jeune homme ambitieux, attiré par une terre où tout semble possible malgré l’inévitable choc culturel, attirent immanquablement le sourire.
Le témoignage, didactique, donne en effet lieu à de savoureuses anecdotes, que l’éditeur résume d’un trait évocateur : « l’Empire du milieu décrypté par un mangeur de cuisses de grenouille ».
« La Chine m’a formé », reconnaît aujourd’hui ce Français d’origine iranienne. Né d’un père colonel de la Marine nationale et d’une mère institutrice, il a 12 ans lorsque la guerre contre l’Irak contraint sa famille à tout quitter pour rejoindre la France. Il résume cette première partie de vie d’un évasif « on vivait très bien », évoquant sans s’y attarder une enfance aussi heureuse que dorée.
Le passage d’une situation très aisée au statut précaire de réfugié n’en a forcément été que plus violent. En a-t-il souffert ? Pas spécialement. « Quand on est enfant, on s’adapte », répond-il, estimant la situation surtout difficile à vivre pour son père, passé brutalement de la lumière à l’anonymat le plus total. Il évoque néanmoins les premiers mois en région parisienne, marqués par le ballotage de la famille. « On changeait d’hébergement tous les deux jours. Je nous revois avec nos valises dans le métro parisien… C’est cette période qui m’a donné envie de réussir. Ça m’a forgé », reconnaît-il. On n’en saura pas plus.
ON CHANGEAIT D’HÉBERGEMENT TOUS LES DEUX JOURS. JE NOUS REVOIS AVEC NOS VALISES DANS LE MÉTRO PARISIEN… C’EST CETTE PÉRIODE QUI M’A DONNÉ ENVIE DE RÉUSSIR
NANTES, « LA VILLE DE CŒUR »
La famille vient finalement s’installer à Nantes, qui va devenir « la ville de cœur » de Milad.
Son père, contraint dans un premier temps aux petits boulots, intègrera finalement une société de gardiennage dans laquelle il passera associé, quand sa mère deviendra puéricultrice. Une intégration exemplaire, aboutie en 2002 avec la nationalité française. Un moment qu’il qualifie de « fierté pour notre famille, avec la concrétisation de nos efforts ».
De son côté, Milad a acquis en quelques années un excellent niveau en français. Bon en mathématiques et en matières scientifiques, c’est tout naturellement qu’il se dirige après le Bac vers une prépa math sup/math spé avant d’intégrer Polytech. « Pour mes parents, les études étaient très importantes ; je ne pouvais être qu’ingénieur ou médecin », explique-t-il. Ce sera ingénieur, la situation financière de la famille ne lui permettant pas de faire des études très longues, ce dont il ne se formalise pas un instant.
Car l’école d’ingénierie informatique est pour lui « le point de départ de tout ». C’est là, en deuxième année, que l’entrepreneuriat va le titiller, sans qu’il puisse pour autant aller au bout de son projet. S’il avait réussi, serait-il allé en Chine ? Parti là-bas pour un stage, il y passera finalement une quinzaine d’années, créant plusieurs entreprises. C’est aussi là-bas qu’il rencontre son épouse, une Brésilienne venue elle aussi travailler en Chine. Ensemble, ils fondent une famille et bâtissent de toutes pièces une success story entrepreneuriale dans une activité qui, en cinq ans, réalisera plus de 12 M€ de chiffre d’affaires, avec des collaborateurs dans plusieurs pays. La bande dessinée de Milad s’achève d’ailleurs pratiquement sur cette assertion : « Je ne quitterais cet endroit pour nul autre au monde »… Et pourtant, début 2020, décision est prise de revenir en France, à Nantes, où la famille s’inscrit désormais de manière durable. Qu’est-ce qui a changé ? La Chine. S’il estime que le gouvernement a favorisé son business, « depuis 2015, les étrangers sont moins bien vus, on se sentait moins les bienvenus », reconnaît-il. Ses priorités, elles aussi, ont évolué : « Je voulais que mes filles construisent leurs souvenirs en France. »
RETOUR EN FRANCE
Après un déménagement géré à distance par visio – Covid oblige –, la famille pose ses valises dans la cité des Ducs, au moment du premier confinement. L’occasion pour Milad de se poser un peu ? Surtout pas ! « J’ai lancé quatre projets pendant le confinement », indique-t-il en souriant. Certains lui reprochent sa débauche d’énergie au risque de l’éparpillement ? Lui rétorque : « En Chine, les entrepreneurs font plein de choses. Dès que l’on a une idée, il faut la mettre en œuvre ». Ce petit dormeur, à qui quatre heures de sommeil suffisent, estime que tout est question d’organisation. D’ailleurs, il dit trouver du temps pour s’occuper de ses filles de 5 et 7 ans, jouant sa partition de père en les emmenant à l’école ou en leur faisant faire leurs devoirs quand il n’est pas en déplacement.
IL FAUT CRÉER DE NOUVELLES FILIÈRES SUR LES PRODUITS D’AVENIR, PAS RÉINDUSTRIALISER CE QUI EST FABRIQUÉ À BAS COÛT EN ASIE
Indubitablement, pour cet homme d’action qui pratique le crossfit et le golf, la vie ne vaut pas si on ne fourmille pas de projets. Et de ce côté-là, il s’est servi : codirigeant de Globaxe 2, il a aussi créé L2C Technologies 3, s’investit comme business angel, donne des cours… Il est aussi un homme et un entrepreneur engagé qui ne compte pas, là non plus, son investissement. À son retour à Nantes, il a d’abord fait une incursion rapide dans le monde politique, lors des Régionales de 2021, sur la liste de François de Rugy. « La Région est un acteur très important, je voulais comprendre comment ça fonctionne. Je ne dis jamais non à une expérience », commente-t-il, même s’il ne souhaite pas réitérer celle-ci, soucieux de porter ses efforts sur d’autres chemins, plus concrets selon lui.
PROMOUVOIR L’ENTREPRENEURIAT
Cet homme de réseau qui, en Chine, était impliqué dans la promotion des entreprises françaises, a intégré le Medef 44 dès son arrivée. Logiquement, il a pris en charge la commission International et c’est à ce titre qu’il agit aujourd’hui pour venir en aide aux réfugiés ukrainiens, dont la détresse raisonne forcément en lui. « Il fallait que je fasse quelque chose de concret », explique-t-il. Il a donc engagé une action pour leur permettre de trouver localement un emploi. Reconnaissant de ce que la France lui a apporté, il est certain qu’elle demeure « un pays accueillant, où l’on a la possibilité de faire des choses si on en a la volonté ».
Convaincu, aussi, de la puissance d’un mouvement comme celui du Medef pour porter ses convictions entrepreneuriales, il se porte aujourd’hui candidat à sa présidence. À 39 ans, riche d’un parcours peu commun, cet « homme du monde » comme le décrit son entourage, a la volonté d’agir sur une image jugée quelque peu poussiéreuse par certains. Et prône avec ferveur l’ouverture… aux jeunes, aux start-up et scale-up, aux industries de demain. « Il faut créer de nouvelles filières sur les produits d’avenir, pas réindustrialiser ce qui est fabriqué à bas coût en Asie, assure-t-il, c’est là que l’on fera la différence ! » En quelques mois, il a d’ailleurs attiré au Medef près d’une vingtaine de nouveaux adhérents. L’avenir dira si cette dynamique peut s’inscrire durablement.
1.Il travaille actuellement sur le tome 2 qui évoquera son retour en France et envisage déjà un troisième tome abordant l’arrivée de sa famille en France.
2.Société de sourcing et de conseil à l’import-export
3.Entreprise qui utilise la technologie blockchain pour créer des solutions digitales pour la supply chain et les nouveaux modes de consommation
À brûle-pourpoint
Quel autre métier auriez-vous aimé exercer ?
Ambulancier ! À chaque fois que je vois des ambulances et des conducteurs qui ne les laissent pas passer, ça me met hors de moi car la vie d’une personne peut dépendre de ces quelques minutes. C’est un métier dont on ne parle pas beaucoup, mais qui me plaît. Je me dis toujours que si c’était moi le conducteur de l’ambulance, je passerais. C’est un métier où l’on a une grande responsabilité.
La ou les personnalité(s) que vous admirez ou qui vous inspirent ?
Christine Lagarde, parce qu’elle a un parcours exceptionnel et qu’elle a accédé à des postes très importants, en France et dans le monde. C’est une des femmes les plus puissantes. Et comme j’ai deux filles, ça me réconforte de voir qu’une femme peut accéder à des niveaux de responsabilité aussi importants. Je peux ainsi espérer que mes filles grandissent dans un monde où les femmes ont les mêmes accès au pouvoir que les hommes.
Un film ou un livre qui vous a marqué ?
Le huitième jour avec Daniel Auteuil. C’est une très belle histoire et une leçon de vie. On rejette très souvent la différence quand on ne connaît pas et quand on commence à connaître, on l’accepte. Ce film met en avant toutes les valeurs qui me tiennent à cœur : l’acceptation de la différence, l’inclusion, la diversité.
Qu’est-ce qui vous fait vous lever le matin ?
L’envie d’accomplir. Comme j’interviens dans plusieurs projets, je dois être très bien organisé. Quand je me lève, je planifie tout ce que je dois faire et j’essaie de finir ce que je me suis mis comme objectif dans la journée. Si on n’a pas une vision claire de ce qu’on doit faire dans la journée, on n’y arrive pas. Ce qui me porte, c’est de créer ou d’aider à démarrer de nouveaux projets. C’est la définition même de l’entrepreneuriat !
Qu’est-ce qui vous tient le plus à cœur ?
D’être utile et de pouvoir aider les autres, de deux manières différentes. D’un côté les entrepreneurs plus jeunes en les poussant à se lancer ou en investissant un peu dans leur projet. De l’autre, je m’investis beaucoup auprès des orphelinats avec mon épouse. Pour moi, la réussite de sa vie quand on est un entrepreneur ça ne doit pas de pouvoir s’acheter une montre à 10 000 €, mais ce qu’on laisse derrière soi et comment on connecte les autres.
Votre plus grande fierté ?
Je n’ai rien fait de vraiment extraordinaire, mais je suis fier d’avoir pu devenir entrepreneur car c’est quelque chose que je voulais faire depuis que j’étais étudiant et que j’ai réussi à faire avec un prêt étudiant. J’ai pu recruter des gens, changer ma vie, celle de mes collaborateurs. Et aujourd’hui, je suis fier de pouvoir aider d’autres à se lancer.
Les mots des autres
Denis Mourrain, cofondateur et dirigeant de LivingPackets
« Un enfant du monde »
« Milad a une appréciation de l’entreprise qui est moderne, associant l’industrie et le digital. C’est un enfant du monde : il est capable de réagir en considérant à la fois les contraintes locales et les attentes internationales, il pense assez rapidement aux connexions possibles et crée des opportunités de rencontres. C’est un homme de réseau pour qui donner est plus important que recevoir. C’est facile de travailler avec lui. Quand on est à ses côtés, il nous met à sa hauteur, apporte son point de vue et son background de manière très humble. »
Frédéric Rodier, fondateur et dirigeant de Mitis
« Un entrepreneur dans l’âme »
« J’ai rencontré Milad en Chine dans le cadre du développement international de Mitis. Il m’a d’emblée impressionné par sa maîtrise du chinois alors qu’il y était depuis un peu plus d’un an. C’est un entrepreneur dans l’âme, animé d’une énergie peu commune et déterminé : il a besoin d’action et je l’ai d’ailleurs vu crapahuter dans la boue ! Il fait aussi preuve à la fois d’une grande curiosité intellectuelle et d’une large ouverture d’esprit. C’est quelqu’un de très liant, accessible et engagé. Il attache beaucoup d’importance à l’humain. »