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L’illectronisme, un phénomène sous-estimé par les entreprises

Facteur d’exclusion, frein pour la formation et l’emploi, le fait de ne pas savoir utiliser les outils numériques de base a été amplifié par la crise sanitaire. Éléonore Bleuzen, rapporteure de l’étude « Agir contre l’illectronisme en Pays de la Loire » et conseillère du Conseil économique social et environnemental (Ceser) régional, dresse un état des lieux de ce phénomène méconnu.

Éléonore BLEUZEN illectronisme

Éléonore BLEUZEN © D. R.

Qu’est-ce que l’illectronisme ?

Selon l’Insee, c’est le manque ou l’absence de compétences numériques de base : envoyer des courriers électroniques, consulter ses comptes en ligne, utiliser des logiciels, chercher une information ou simplement naviguer sur internet.

Le phénomène se manifeste sous plusieurs formes : on parle d’illectronisme total quand quelqu’un ne sait pas du tout utiliser un ordinateur, d’illectronisme léger quand c’est seulement un logiciel qui n’est pas maîtrisé.

Pour résumer, on peut dire que l’illectronisme transpose en quelque sorte le concept d’illettrisme dans le domaine du numérique, mais en réalité il n’existe pas de définition très précise du phénomène.

Quelle proportion de la population est considérée illectroniste dans la région ?

Selon une étude Insee d’octobre 2020, le phénomène touche 13 % de la population des Pays de la Loire. Sur le plan national, ce chiffre grimpe à 17 %.

S’il n’existe pas de profil type, l’âge est un facteur de risque sur le plan national. D’autre part, la catégorie socio-professionnelle et le niveau de diplôme influencent les compétences numériques.

Nous avons également constaté que la population des zones urbaines est globalement un peu mieux équipée sur le plan numérique que celle des zones rurales.

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© D. R.

En quoi la lutte contre ce phénomène constitue-t-il un enjeu d’avenir ?

Le virage numérique étant lié aux métiers de demain, ce qui est problématique aujourd’hui le sera encore plus à l’avenir si rien n’est fait pour remédier à l’exclusion numérique des actifs illectronistes. Lutter contre ce phénomène, c’est donc permettre à tous les Ligériens de ne pas se sentir exclus de notre société dans laquelle le numérique prend de plus en plus de place au quotidien, et ce d’autant plus depuis le début de la crise sanitaire.

Le virage numérique pris dans la formation et l’apprentissage a mis en lumière de nouvelles problématiques en lien avec l’illectronisme. Lesquelles et comment y répondre ?

Plusieurs problématiques ont été identifiées : d’abord le fait d’être contraint de passer par des plateformes pour effectuer des démarches administratives ou scolaires, mais aussi pour la formation à distance.

Pour y répondre, il va falloir s’assurer que le stagiaire ou l’apprenti ait les capacités d’utiliser ces nouveaux outils. Il faudra également entraîner les formateurs vers de nouvelles pédagogies et revaloriser le métier de médiateur numérique. Enfin, les lycées devront eux-mêmes prévenir et lutter contre l’illectronisme et il faudra également accompagner les parents à l’usage du numérique pour renforcer le lien avec la scolarité. Il y a donc un gros enjeu autour de la formation et de l’apprentissage.

Comment l’illectronisme impacte-t-il les entreprises ?

Les entreprises ont pris le virage numérique de leur propre initiative ou à défaut car elles n’avaient pas d’autre choix que d’y aller. Le souci, c’est que tous les employés ne sont pas forcément compétents pour utiliser les nouveaux outils numériques imposés.

Par exemple, la mise en place d’une plateforme en ligne pour effectuer ses demandes de congés ou de formation peut poser problème car elle va créer des inégalités entre salariés et exclure de la vie de la société tous ceux qui ne sont pas en capacité de s’y connecter. Cela accentue aussi l’isolement des actifs en situation d’illectronisme et limite aussi parfois leur accès à certains droits.

Comment les entreprises peuvent-elles identifier les illectronistes sans les stigmatiser ?

Il faut commencer par les sensibiliser. Le phénomène est sous-estimé par la majorité des entreprises. C’est une première étape indispensable avant la mise en place d’outils de diagnostic dans la sphère professionnelle.

Ensuite, il faut bien avoir en tête que ces salariés ne doivent surtout pas être stigmatisés. Pour les accompagner, il faut partir de leur socle de compétences et venir en ajouter progressivement au fil du temps. Tout l’enjeu sera de réussir à les motiver pour qu’ils utilisent ensuite leurs nouvelles compétences avec intérêt.

Quelles sont les pistes préconisées par le Ceser pour faire reculer le phénomène dans les entreprises ?

La création d’un dispositif d’aide aux entreprises dédié à la lutte contre l’illectronisme fait partie des solutions envisagées. Il serait également intéressant d’intégrer la lutte contre l’illectronisme dans le référentiel régional RSE et de communiquer davantage autour du dispositif CléA Numérique, une certification délivrée par Certif Pro, auprès des dirigeants.

Quelles sont les clés de la médiation numérique, solution présentée comme remède à l’illectronisme ?

Accompagnement individualisé, présence humaine et proximité constituent le trio gagnant de la médiation numérique en direction des personnes en situation d’illectronisme. Sur-mesure, l’accompagnement peut ainsi prendre en compte les aptitudes cognitives de chacun pour s’appuyer sur ses points forts. La Région pourrait également agir contre le phénomène en constituant un fonds régional de lutte contre l’illectronisme.

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