Couverture du journal du 22/03/2024 Le nouveau magazine

L’entretien : Cathy Barré, codirigeante de Benaiteau : « L’entrepreneuriat, une aventure d’équipe »

D’abord salariée, Cathy Barré n’avait jamais pensé diriger Benaiteau jusqu’au jour où l’opportunité d’une reprise collégiale s’est présentée. Maillon d’une histoire centenaire tournée vers la rénovation du patrimoine ancien, elle veille avec fierté à la destinée de Benaiteau, basée à Sèvremont en Vendée, avec une certitude : l’avenir est dans les mains des équipes.

Cathy Barré, codirigeante de Benaiteau

Cathy Barré, codirigeante de Benaiteau © Benjamin Lachenal

Benaiteau est une entreprise familiale vendéenne fondée en 1920 et transmise à des salariés il y a près de dix ans. C’était une volonté de la troisième génération ?

D’une certaine façon, sans doute. Après trois générations de Pierre Benaiteau, il n’y avait pas d’enfant pour reprendre cette entreprise de restauration de patrimoine ancien. Pierre Benaiteau, troisième du nom, le savait et très tôt, il avait regardé dans le vivier interne qui aurait le potentiel et l’envie de prendre sa suite. Il voulait prendre son temps et que cette transmission se fasse sur deux à trois ans. Il y avait eu des pistes mais rien de concret. Alors, sentant l’heure de la retraite approcher, il a cherché une solution extérieure, à l’échelle nationale. Il y a eu un contact sérieux qui n’a pas abouti, des cadres dirigeants de Benaiteau lui ayant finalement soumis un projet de reprise. Je me demande si cette proposition ne l’a pas soulagé. Ce qui est une certitude, c’est qu’il avait tout fait pour faciliter sa succession via la mise en place d’un comité de direction quelques années auparavant. Il y avait Michel Paillat, responsable des études et des métrés; David Fisson, responsable achat, qualité, sécurité; Laurent Baudin, responsable travaux; et moi, directrice administrative et financière (Daf). Nous étions ses bras droits. Il nous faisait part de sa vision d’entreprise, nous expliquait ses choix. Souhaitait-il préparer ainsi l’arrivée d’un dirigeant externe et sa collaboration avec nous? Avait-il en tête de nous laisser un jour les rênes de l’entreprise? Il ne nous l’a jamais proposé clairement en tous cas.

Votre parcours professionnel ne vous prédestinait pas à diriger un jour une entreprise. Et puis, il y a eu cette journée particulière début 2012…

Je revenais de mon congé maternité pour mon troisième enfant. Cela faisait trois ans que je travaillais dans l’entreprise et que je m’occupais de la partie comptable, financière et ressources humaines. Je m’étais laissée gagner par la passion du patrimoine. Je n’avais pas d’ambition entrepreneuriale particulière. Je n’y pensais même pas, surtout que j’avais quitté un cabinet d’expertise comptable où il y avait une forte amplitude horaire et de multiples déplacements, pour rejoindre Benaiteau. Mes enfants avaient alors 7 ans, 5 ans et quelques mois, et j’aspirais à un équilibre entre ma vie familiale et professionnelle, tout simplement. Alors, quand Michel, Laurent et David sont venus me voir pour me demander de reprendre Benaiteau avec eux, j’ai été un peu chamboulée. Ils craignaient que l’entreprise ne perde son âme en passant dans les mains d’un dirigeant externe. Leur proposition était à la fois une belle preuve de confiance et en même temps, est-ce que cela correspondait à mon projet de vie? Est-ce que j’en avais envie? Est-ce que j’en serais capable? Jamais je n’avais pris ou imaginé prendre de telles responsabilités. Et comment allions-nous gérer cette direction à quatre têtes? J’avais 34 ans et je me posais beaucoup de questions. Nous en avons parlé pendant quelques temps. Et finalement, j’ai sauté le pas.

Qu’est-ce qui vous a convaincu ?

Je crois qu’au fond de moi, j’en avais envie. Ensuite, il y avait une belle amitié avec mes futurs associés et nous étions complémentaires. Soit nous reprenions l’entreprise à quatre, soit nous n’y allions pas. Personne ne voulait diriger seul. Alors, dès le départ, nous avons défini notre mode de fonctionnement : une approche collégiale pout tout ce qui était stratégique et vision à long terme ; et de l’autonomie dans les décisions relevant de nos compétences respectives.

Nous nous sommes aussi longuement concertés pour savoir comment nous allions gérer à plusieurs le personnel, comment faciliter les échanges et éviter les incompréhensions. Ainsi, les équipes savent à qui s’adresser selon la nature de la demande. Laurent et David suivent les dossiers techniques. Et je gère toutes les questions salariales et la formation. Les recrutements se font toujours à deux en fonction du profil du poste. Et pour tout ce qui relève du quotidien du chantier, les salariés s’adressent au conducteur de travaux. Cette répartition des rôles m’a clairement rassurée.

Mais je n’y serais pas allé sans l’aval de mon mari. Je n’aurais pas accepté s’il ne m’avait pas suivi. C’était un gros challenge pour notre famille. Dans le projet de reprise, j’ai d’ailleurs négocié un temps partiel : le mercredi, je m’occupe de mes enfants. Les salariés le savent, tout le monde s’adapte. Et je peux être souple si cela est nécessaire. Je suis prête à faire des concessions, mais pas de sacrifice. J’ai besoin de cet équilibre entre ma vie personnelle et professionnelle. Il est hors de question que je mette en péril l’un ou l’autre. Les deux sont essentiels pour moi.

CHANTIER BENAITEAU

Tailleur de pierre, l’un des métiers de Benaiteau. © Benaiteau

Comment avez-vous annoncé votre intention à Pierre Benaiteau ?

Nous avons attendu de nous mettre d’accord entre « associés » avant de lui en parler à l’automne 2012. Personne n’était au courant dans l’entreprise. Nous lui avons demandé de nous laisser trois mois pour monter le projet de reprise et trouver un financement. Et il a accepté. La transition a été courte. Nous avons fait le choix de ne pas être accompagnés par Pierre Benaiteau car nous savions où nous mettions les pieds. En janvier 2013, il a pu prendre une retraite bien méritée.

Comment se sont passés les premiers mois de votre nouvelle vie ?

La transition s’est faite de manière assez naturelle, fluide. Nous avons senti que les collègues nous suivaient. Ils nous connaissaient et savaient comment nous fonctionnions. Même s’ils nous ont un peu testés au début, ils nous ont fait confiance. En 2013, tout jeunes dirigeants, nous avons pris un gros chantier qui représentait 20 % de notre chiffre d’affaires. C’était un sacré défi et il s’est bien passé. Cette première expérience a permis de les rassurer sur notre projet et notre façon de gérer les chantiers.

Quelle dirigeante êtes-vous ?

Je vois l’entrepreneuriat comme une aventure d’équipe. Ce qui me plaît, c’est l’échange entre associés, avec les salariés. Ma porte est toujours ouverte. J’essaie d’être le plus accessible possible pour que l’entreprise soit encore meilleure demain, pour continuer à faire vivre les valeurs de Pierre Benaiteau, des valeurs qui me parlent, comme la transmission de savoir-faire traditionnels, la qualité. Je veille à ce que les salariés soient bien dans l’entreprise et qu’ils puissent évoluer s’ils le souhaitent.

Qu’avez-vous mis en place pour favoriser l’implication et l’épanouissement des salariés ?

Avec Laurent et David , nous souhaitions faire participer davantage les salariés à la vie de l’entreprise, en leur demandant par exemple leur avis sur les conditions de travail. Nous avons ainsi mis en place une commission pour résoudre les problématiques de pénibilité. Comme nous sommes peu sur les chantiers, nous avons besoin d’avoir ce retour de leur part. Nous sollicitons aussi très régulièrement les élus du personnel pour qu’ils nous fassent remonter des idées émanant des équipes sur le terrain ou pour nous assurer que nos projets innovants correspondent bien aux besoins et attentes des salariés. C’est ainsi que nous proposons depuis trois ans et demi des soins bien-être et des séances d’ostéopathie au sein de l’entreprise, en dehors du temps de travail. De la même façon, on teste en ce moment des exosquelettes pour l’application des enduits ou la manutention des échafaudages. Prochaine étape : travailler avec eux sur la marque employeur pour faciliter le recrutement.

Quelles valeurs vous lient avec vos associés et contribuent à la réussite de votre collaboration ?

Nous sommes complémentaires et nous avons confiance les uns envers les autres. Nous partageons des valeurs d’entraide et de solidarité. Quand l’un de nous est en difficulté, on l’épaule, on le conseille même si ce n’est pas notre domaine de prédilection. C’est rassurant aussi de pouvoir se confier des choses que l’on ne peut pas dire aux salariés. Ce qui nous lie également, c’est une envie commune de relever des défis, d’être les premiers à innover. Pierre Benaiteau était un précurseur dans de nombreux domaines. Il aimait utiliser les technologies de pointe de son époque pour développer l’entreprise. Je crois qu’il nous a transmis ce virus de l’innovation. Depuis trois ans, nous utilisons un drone pour faire des relevés numériques plus précis sur les chantiers, notamment dans les endroits difficiles d’accès (sous-traitance). Et depuis l’an dernier, nous utilisons un scanner pour prendre en 3D les bâtiments (développement interne).

LA TRANSMISSION DES SAVOIR-FAIRE, C’EST LA PÉRENNITÉ DE L’ENTREPRISE

La Benaiteau académie est l’un des projets innovants dont vous parliez. À quelles problématiques répond-elle ?

Elle répond à un besoin de main-d’œuvre et à la nécessité de transmettre les savoir-faire. Cette dernière assure la pérennité de Benaiteau et cela ne se fait pas du jour au lendemain. Avoir un diplôme ne suffit pas. Il faut cinq à six ans minimum pour être un maçon du patrimoine accompli. Nous formons déjà sept apprentis. Mais avec la Benaiteau académie, inaugurée ce mois de juin 2022, nous nous adressons à une cible plus âgée, sans diplôme ou en reconversion professionnelle, ainsi qu’à des maçons qui souhaitent acquérir une compétence patrimoine. C’est assez large, il n’y a pas de profil particulier, juste quelques prérequis : être motivé et avoir envie de s’engager durablement, ne pas avoir le vertige, être habile de ses mains et aimer le travail en extérieur. Nous avons volontairement limité l’effectif à six/huit personnes afin de proposer un plan de formation de six mois, adapté à chacun, en fonction des compétences acquises et à acquérir. La formation se fera sur un chantier école. Il n’y a pas de notion de productivité. C’est très important pour réussir à bien faire les choses. Les élèves de la Benaiteau académie seront embauchés en CDI dès le départ, avec six mois de contrat de professionnalisation.

CHANTIER BENAITEAU Abbaye de Trizay _BOURNEZEAU

© Benaiteau

L’entreprise fête ses 100 ans. C’est une fierté de contribuer à cette success story vendéenne ?

Benaiteau fête en réalité ses 102 ans. L’anniversaire a été reporté de deux ans pour cause de crise sanitaire. J’étais ravie de pouvoir enfin le célébrer avec les équipes ce week-end des 10 et 11 juin. Ce fut l’occasion de mettre en avant leurs savoir-faire et de faire visiter nos chantiers. La seconde journée des festivités s’est adressée au grand public avec pour objectif premier de les informer sur les métiers du patrimoine et leurs technicités, et qui sait, de susciter des vocations. C’est une vraie fierté d’être là, de poursuivre ce que la famille Benaiteau nous a légué. Dirigeants comme salariés, nous sommes les héritiers ce cette histoire, les ambassadeurs de l’entreprise. C’est une responsabilité. D’où l’idée de ne pas être seule pour le vivre plus sereinement.

QUAND L’UN DE NOUS EST EN DIFFICULTÉ, ON L’ÉPAULE, ON LE CONSEILLE, MÊME SI CE N’EST PAS NOTRE DOMAINE DE PRÉDILECTION.

Benaiteau a-t-elle vocation à toujours appartenir à ses salariés ? Avez-vous la volonté de préserver l’indépendance de l’entreprise ?

Benaiteau existe grâce à ses salariés et à leurs compétences. Si l’on peut un jour leur transmettre ce beau cadeau qu’est l’entreprise, ce serait un bel aboutissement. Mais il est encore un peu tôt pour se projeter.

BENAITEAU UNE ENTREPRISE, DEUX ACTIVITÉS

Une activité historique : la restauration du patrimoine ancien (corps de ferme, maison de centre-ville historique, moulin, château, manoir).

BRS-Technologie : depuis 2009, marque dédiée à la consolidation du bâti (renforcer les fondations ou la structure de bâtiment moderne/récent et ancien).

Effectifs : 48 salariés dont 7 apprentis

Chiffre d’affaires : 5,7 M€ en 2021. L’activité « rénovation du patrimoine ancien» représente 80 % du CA.

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