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La vague de dépôts de bilan se fait attendre

Les chiffres en baisse du nombre de procédures collectives en 2020 masquent une réalité qui risque d’être, à terme, très difficile. Le président du Tribunal de commerce de Nantes, Loïc Belleil, s’attend à une vague de dépôts de bilan d’ici quelques mois.

tribunal de commerce

À Nantes, comme à Saint-Nazaire, la traditionnelle audience solennelle du tribunal de commerce s’est jouée en petit comité, Covid oblige © I.J.

Nous savons que, dans quelques mois, les entreprises qui étaient en difficulté viendront en grand nombre au tribunal pour déposer leur bilan. Le tribunal doit se préparer à absorber cette vague qu’il est difficile de chiffrer et qui sera de plusieurs centaines d’entreprises. Elles s’ajouteront au flot quotidien, nous allons donc renforcer nos moyens en procédures collectives et en juges commissaires afin de répondre à cette surcharge de travail », a prévenu le président du tribunal de commerce de Nantes, Loïc Belleil à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée de sa juridiction, le 14 janvier, tenue en petit comité pour cause de Covid.

« PAS DE DÉCONFITURE EN 2020… »

« Le tribunal n’a pas eu pour l’instant à gérer de déconfiture particulière à cause de cette pandémie en termes de dépôt de bilan, grâce principalement aux mesures de soutien gouvernementales. Il n’en reste pas moins, qu’aussi utiles qu’aient été ces mesures, elles restent des artifices. Ce qui peut être craint en 2021 est que le profil des dossiers qui arrivent dans vos instances soient très différents et que la réalité d’un effondrement ne soit plus masquée », abonde Éric Camus, procureur adjoint, section économique et financière.

Pour l’heure, l’activité du tribunal de commerce de Nantes est anormalement calme. Ce que fait remarquer son président : « 2020 a vu notre activité judiciaire diminuer très fortement. Cette baisse très sensible se retrouve dans toutes les chambres du tribunal. En procédures collectives, les redressements judiciaires (84) ont baissé de 58% et les liquidations judiciaires (245) de 33%. Seules les procédures de sauvegarde sont en hausse, et encore, elles ne concernent que quelques grands groupes. » Au total, ces procédures collectives ont concerné 346 entreprises, représentant 1 538 salariés pour un CA total de 238 663 k€.

Le procureur Éric Camus rappelle que la chambre spécialisée des procédures collectives des Pays de la Loire a traité deux importants dossiers, dans le cadre d’un plan de sauvegarde : une société mayennaise de 1 200 personnes et une société de sous-traitance aéronautique de 500 personnes.

Il signale également que le parquet sera partie prenante d’une politique renforcée qu’entend mener le tribunal de commerce en matière de non dépôt des comptes sociaux, « une obligation à caractère impératif dont la transgression constitue une infraction pénale qui sera traitée avec intransigeance ».

SANCTIONS ET PROCÉDURES DE PRÉVENTION EN BAISSE

La chambre des sanctions observe de son côté une décrue. Celle-ci fait suite à un tassement en 2019, même si, fin 2020, des dossiers ont été transmis aux mandataires, ce qui devrait amener ce chiffre à augmenter en 2021. « Les signalements des fautes de gestion doivent répondre à des critères à maille large permettant d’éviter les risques de maintien dans les circuits économiques de personnes toxiques », souligne le procureur. En revanche, en 2020, l’augmentation des procédures de responsabilité pour insuffisance d’actifs a continué de croître.

Dans le cadre des procédures de prévention, 29 mandats ad hoc et 51 conciliations, soit 80 procédures ont été ouvertes en 2020 contre 109 en 2019, « là où la crise économique aurait dû nous permettre d’en ouvrir 20 à 30% de plus, note le président Loïc Belleil. Ces chiffres ne progressent pas malgré tous nos efforts pour promouvoir ces deux procédures si efficaces puisque nous sortons par le haut 70 à 80% des entreprises qui viennent nous voir. Personnellement, je ne sais plus comment faire pour faire connaître et apprécier ces procédures spécifiquement françaises à leur juste valeur ».

« L’activité contentieuse, – 30% en 2020, ne cesse de diminuer année après année, comme dans tous les tribunaux de commerce. En juridiction présidentielle, une baisse de 30% est également constatée », note encore Loïc Belleil.

« INSUFFISANCES LÉGISLATIVES »

Le président du tribunal de commerce a profité de son intervention pour « attirer l’attention du législateur » sur ce qu’il estime être « des insuffisances législatives constatées au quotidien ». Il s’agit, d’une part, de la question des SCI dans les groupes de sociétés prises dans les procédures collectives : « Le droit ne permet pas sereinement d’intégrer une SCI faisant partie d’un groupe de sociétés dans la sphère de compétence du tribunal de commerce saisi de la procédure collective. Le législateur devrait prévoir, par une disposition dénuée d’ambiguïté, que si une SCI est partie intégrante d’un groupe, le tribunal de commerce soit compétent pour juger de sa procédure collective. Cette disposition aurait le mérite de la clarté et permettrait de traiter sereinement, au même rythme et par un même tribunal, des dossiers qui n’en forment qu’un. »

D’autre part, il s’agit de la non-restitution des sommes versées pour constituer une société qui n’a pas vu le jour avant une période de six mois. « Que le tribunal n’ait pas le pouvoir, après vérification de l’absence de créanciers, d’ordonner que les fonds immobilisés soient restitués immédiatement au fondateur est une anomalie, estime Loïc Belleil. Nous rejetons des requêtes présentées par des personnes dont l’unique projet professionnel, souvent après des mois de chômage, était de créer une société qui n’a pas vu le jour et qui ne peuvent récupérer leur mise de départ avant ce délai. Le législateur devrait permettre que le tribunal, après les vérifications requises, puisse ordonner la restitution des fonds immobilisés pour la constitution de la société. Ces sommes font défaut au déposant qui le plus souvent y a mis toutes ses économies. »

 

SAINT-NAZAIRE : « LE PIRE EST À VENIR »

Tribunal de commerce de Saint-Nazair-©IJ

Audience solennelle de rentrée du tribunal de commerce de Saint-Nazaire © I.J.

À Saint-Nazaire, les mêmes causes produisent les mêmes effets : lors de son audience solennelle de rentrée du 18 janvier, le tribunal de commerce (TC) de Saint-Nazaire a dressé le bilan d’une année pour le moins « étrange ». 2020 voit ainsi le nombre de défaillances d’entreprises (116) nous renvoyer vingt ans en arrière, au niveau de l’année 2000, bien loin des pics enregistrés lors de la précédente crise de 2008-2009. Loin de s’en féliciter, le président du TC, Philippe Martin, s’en inquiète. Pour lui, « le pire reste à venir », dès lors que les entreprises ne seront plus sous perfusion des aides de l’État.

Parallèlement, les immatriculations connaissent, comme à Nantes, une hausse (+3,64%, à 2820). Néanmoins, ces créations sont le fait d’une envolée des microentreprises (autoentrepreneurs), qui représentent en 2020 plus de 22% du total des immatriculations et 87% des immatriculations de personnes physiques. Les créations de sociétés commerciales enregistrent pour leur part une augmentation de l’ordre de 1%.

Dans cette période où les difficultés réelles des entreprises sont masquées par le soutien de l’État, la prévention devient d’autant plus cruciale. Pourtant, année après année, le recours au mandat ad hoc et à la conciliation, procédures strictement confidentielles créées pour aider les entreprises avant que leurs difficultés ne soient insurmontables, est délaissé. « Nous ne sommes pas là pour faire des misères aux chefs d’entreprise », tient à rappeler Philippe Martin qui exhorte les entreprises à venir au rendez-vous de prévention proposé par le tribunal.

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