Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Héritier d’entreprise, un métier comme les autres ?

On naît héritier, mais on devient entrepreneur. Une nuance qui n’a rien de naturelle, la transformation s’effectuant davantage dans le temps et la mise à l’épreuve. Non seulement les "filles et fils de" doivent pérenniser l’activité dans ses dimensions économiques et financières, mais aussi se faire un prénom pour imposer leur style et gagner la confiance des collaborateurs et des partenaires extérieurs à l’entreprise. Un travail qui demande plus de courage qu’il n’y paraît. Témoignages.

Sablière Palvadeau

Trois générations, de gauche à droite : Florian, son père Jacques et son grand-père Maurice Palvadeau. © Palvadeau

« Notre famille est dans le bâtiment depuis six générations, explique Florian Palvadeau, co-gérant des Sablières Palvadeau. Mon grand-père dirigeait une entreprise dans les années 1950, à Saint-Jean-de-Monts. À l’époque, on prélevait le sable sur les plages jusqu’à ce qu’un arrêté au début des années 1960 mette fin à la pratique. C’est pour répondre aux besoins de sables de son usine que mon grand-père a cherché puis trouvé un gisement de sables de quartz à Challans. Les Sablières Palvadeau sont nées il y a pile 60 ans cette année ! Mon père, alors tailleur de pierre chez les Compagnons du devoir, a repris le flambeau en 1993. Sous sa présidence, l’entreprise s’est développée avec la création de nouvelles usines et gammes de matériaux. »

Dépasser l’héritage

Des trois enfants Palvadeau, Florian était sans doute le plus proche des centres d’intérêt de l’entreprise familiale, sans toutefois rêver de succession. « Mon frère aîné est ingénieur et ma sœur conçoit des décors pour des séries américaines depuis Toronto, raconte-t-il. Quant à moi, j’ai fait quatre ans de formation chez les Compagnons du devoir en tant que menuisier. Mon truc, c’était le bois ! J’ai d’ailleurs été encadreur d’art pendant deux ans. » Il poursuit : « Mon père m’a contacté une première fois en 2009, pour évoquer son souhait de me voir reprendre l’affaire. C’est un homme très malin, sourit-il. Il connaissait mon attrait pour les énergies renouvelables et notamment les centrales photovoltaïques. Cette année-là, il s’est lancé dans un gros projet solaire et m’a demandé de venir l’aider. C’est ainsi que j’ai mis un pied dans les Sablières, à l’âge de 22 ans. » Il ajoute : « En parallèle, j’ai accepté de travailler sur divers postes (entretien, accueil, laboratoire, compta…), tout en m’intéressant de plus en plus au processus de transformation du sable. J’ai été passionné par l’industrie minérale. Aujourd’hui encore, je suis étonné de voir comment on peut, à partir d’un terrain agricole, fabriquer des sables aussi blancs servant à la création de façades sublimes ! Puis en 2013, mon père a racheté l’un de nos fournisseurs (le Marchand de Sable) spécialiste des sables et matières naturelles colorées destinés aux professionnels de la décoration. Il m’en a confié le développement. Ça a été mon « bébé » pendant cinq ans. Je vivais pour cette marque sur laquelle je me suis investi à 100 %. Quand mon père m’a relancé sur la transmission en 2018, j’ai eu du mal à laisser la gestion opérationnelle du Marchand de Sable à un autre, mais aujourd’hui je ne le regrette pas ! J’ai une vision très claire pour la suite : mon objectif n’est pas de maintenir, mais bien de développer l’entreprise familiale dans sa globalité. J’ai d’ailleurs fait le choix d’embaucher un DG pour m’y aider. Nous disposons d’un gisement de 100 000 tonnes par an. L’idée n’est pas de vendre plus, mais mieux : investir de nouveaux marchés et ouvrir de nouveaux dépôts. » Depuis la succession, l’entreprise a doublé ses effectifs et son chiffre d’affaires (4,3 M€ de CA en 2022 pour 20 salariés). En 2022, l’aventure continue avec la création et l’autorisation d’exploiter un nouveau gisement de quinze hectares, assurant vingt années d’exploitation supplémentaires.

Olivier Vincendeau Etilac

Olivier Vincendeau, co-gérant d’Etilac. © Etilac

Ni cadeau ni fardeau

« Quand j’ai repris les Sablières, on était une petite structure d’une dizaine de salariés, des amis proches de mon père plutôt soulagés qu’un successeur reprenne la suite. Ils m’ont accueilli et formé. Parfois, c’était un peu plus compliqué. Mais avec le recul, c’était normal qu’on ne me déroule pas non plus le tapis rouge ! »

Une analyse partagée par Olivier Vincendeau, co-gérant d’Etilac, un spécialiste de la peinture hydro sur matière plastique, composite et bois (l’entreprise appartient au groupe familial ATSH, situé aux Herbiers). « J’ai intégré l’entreprise en 2010, après une dizaine d’années dans la grande distribution où j’étais responsable blanc/brun/gris (rayon TV/hifi/électroménager/informatique). Mes parents géraient depuis 1998 une activité de peinture industrielle en poudre. Sollicité par ses clients pour faire du « liquide », mon père a lancé Etilac en 2011 et cherchait un responsable de site. De mon côté, j’avais peu de perspectives d’évolution professionnelle dans mon secteur. Avec l’accord de ma mère, mes frère et sœur, j’ai décidé de relever le challenge ! Je connaissais bien l’entreprise, ayant grandi avec elle. Pour autant, gérer une entreprise familiale n’est pas un cadeau ! Si je m’occupais bien du site sur le papier, mon père intervenait régulièrement dans les décisions stratégiques. Malgré le dialogue ouvert, c’était lui qui avait toujours le dernier mot. Je me sentais de moins en moins l’homme de la situation : je n’étais pas issu du monde de l’industrie, j’avais du mal avec le métier, les équipes. J’étais agressif et ne voyais pas les solutions… Pour être honnête, je n’étais pas loin du burn-out. J’ai posé ma démission lors d’un petit-déjeuner de famille, au moment où mon père partait faire le rosaire à Lourdes avec ma grand-mère. À son retour, il a compris ma détresse. Je lui ai alors proposé de rester le temps de trouver un remplaçant. Je m’occupais de la relation commerciale sans être acteur de la production. En parallèle, j’ai développé un projet de site marchand de boisson premium sans alcool (My Tonic Shop). En 2018, mon père a décidé de vendre. Une personne extérieure s’était positionnée avant de se rétracter un an plus tard. C’est là qu’il m’a rappelé. J’ai dit oui, mais à la condition d’avoir plus de responsabilités décisionnelles. J’ai aussi imposé mon organisation de vie familiale. On s’est donné un an pour « s’essayer » à nouveau. Entretemps, nous avons essuyé le Covid, l’impact de la guerre en Ukraine, la crise énergétique. Nous sommes prêts à effectuer la transmission familiale, mais attendons encore un peu, histoire d’assurer la pérennité de l’entreprise dans ce contexte particulier. » Il poursuit : « Si ma mère arrive à s’effacer, c’est plus compliqué pour mon père. Il reste très attaché à son entreprise. Il y a six mois, il a eu l’occasion de reprendre la présidence du club de foot des Herbiers. Depuis, il revient moins dans l’entreprise et a quitté l’opérationnel. On reste très proches et je le consulte à chaque étape importante mais je reste seul maître à bord du groupe (4,8 M€ de CA en 2022, 50 salariés). »

Si les attentes peuvent peser lourd sur les épaules des enfants, les parents eux non plus ne sont pas épargnés par le poids de la transmission. Florian Palvadeau des Sablières en atteste : « Quand mon père a voulu développer l’activité de négoce de granulats pour les paysagistes, il était nécessaire de construire un nouvel espace incluant un showroom. Il a attendu que je me positionne pour le faire. Cela n’avait de sens que si je reprenais le business. Ce showroom est très important car il symbolise notre histoire familiale. Nous sommes issus du bâtiment : dans ces murs, il y a notre quartz, celui qui nous fait vivre depuis 60 ans. Une belle façon de partir pour mon père. » Et de conclure : « Je sais qu’il est fier de nous, même si ça n’a pas été simple pour lui de quitter la tête de l’entreprise. Partir, c’est toujours mourir un peu… »

Focus sur le Cedef

Le Cercle des enfants dirigeants d’entreprise (Cedef) est né en Vendée en 2019, à l’initiative de Cécilia Laurent (ex-directrice générale adjointe de PRB) et de Philbert Corbrejaud, spécialiste de la révélation des talents. Cette naissance répond alors à un besoin précis qu’aucun autre club d’entrepreneurs ne comble : permettre à la jeune génération d’échanger, en abordant les thèmes liés à la succession, hors du cercle familial. « On se réunit une fois par mois, dans une maison d’hôtes sans table de réunion ni experts, explique Stéphanie Necca, coach professionnelle chez Blue Note Evolution et animatrice du Cedef Bocage depuis trois ans. Nos adhérents viennent ici pour « déposer » le cerveau et trouver un espace de parole. Il faut comprendre que la transmission n’est pas uniquement une affaire juridique et comptable, souligne-t-elle. Il existe toute une dynamique relationnelle et familiale pouvant alourdir la charge mentale. On estime qu’il faut entre 10 et 15 ans pour s’accorder sur les valeurs de l’entreprise, la vision, la philosophie, mais aussi les tempéraments, voire parfois les secrets… » Et d’ajouter : « Tous les profils d’enfants de dirigeants sont bienvenus, qu’ils aient déjà repris ou non l’activité, jusqu’aux non-opérationnels siégeant au conseil d’administration. Ces derniers disposent d’un pouvoir non négligeable et peuvent éprouver des difficultés à se positionner. » Elle précise : « Lorsque j’approche un jeune dirigeant pour le faire témoigner, la réaction est unanime. Ayant toujours vécu dans l’entreprise, il pense ne rien avoir de spécial à raconter et pourtant… Tous prennent du plaisir dans l’échange et repartent « secoués » par l’expérience tant la démarche fait sens. C’est précieux de pouvoir se dire : on ne sait pas comment faire, c’est parfois compliqué parce qu’on ne s’entend pas toujours bien, mais voilà comment on avance. » Un sujet qui touche l’animatrice personnellement, elle-même issue d’une famille d’entrepreneurs. « J’ai choisi de ne pas reprendre l’activité de mon père et de suivre mon chemin. Un sujet resté longtemps tabou entre nous. On en a reparlé au moment de sa retraite et les tensions ont fini par s’apaiser. Pour autant, 20 ans ont passé et c’est toujours compliqué émotionnellement de l’évoquer. » Aujourd’hui, le Cedef Bocage réunit une dizaine d’adhérents. Un groupe vient de s’ouvrir à La Rochelle avec déjà cinq membres. Le Maine-et-Loire, la Bretagne et bientôt Nantes accueilleront le leur également. « Les sagas familiales sont nombreuses à l’ouest du territoire et le besoin d’accompagnement réel », résume-t-elle.

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