Tout est parti d’une charte d’engagement lancée par la CCI Nantes St-Nazaire et la Chambre d’agriculture (CA) de Loire-Atlantique en 2020 et signée par les acteurs représentatifs de la grande distribution alimentaire, durant la période Covid, à un moment où producteurs et transformateurs cherchaient des solutions pour écouler leurs marchandises. Trois ans plus tard, le salon Serbotel a fourni le prétexte idéal pour faire une photographie des relations tissées. À cette occasion, une table-ronde a été organisée par la CCI et la CA, réunissant cinq enseignes de l’alimentaire et autant de producteurs et transformateurs.
Le premier constat est positif : la démarche de favorisation des circuits courts, loin de s’être arrêtée avec la fin de la crise sanitaire, a perduré car elle a rencontré une attente durable auprès des consommateurs.
Des freins réels ou fantasmés
La première étape pour développer les circuits courts a nécessité – et nécessite encore – de la communication et de la pédagogie de la part des différents acteurs, notamment pour passer outre les éventuelles réticences et idées préconçues. Pascal Claret, élu de la CCI et dirigeant d’un magasin Super U à Carquefou, regrette ainsi l’image de David contre Goliath trop souvent relayée par certains médias. « Je vois mon rôle de distributeur comme cela : permettre à des gens de se développer », affirme-t-il, faisant référence au partenariat qui unit son magasin au Blanc Glacé, producteur de glaces bio à Sucé-sur-Erdre. Manager du magasin Carrefour La Beaujoire, Hubert Gandon le conçoit : « Le visage de la grande distribution peut faire peur à des petits producteurs, mais aujourd’hui on a besoin d’eux. Il ne faut pas qu’ils hésitent à nous contacter, à nous remuer, à insister », lance-t-il. Pour lui, le contact est aujourd’hui facilité, a contrario de ce qui pouvait se pratiquer il y a encore quelques années « quand les décisions de référencement local se faisaient au niveau national ». Là encore, 2020 s’est avérée un tournant, estime-t-il. « On a redonné la main aux magasins et ça s’est énormément simplifié », même s’il reconnaît qu’il reste encore du chemin à parcourir.
Sur la question des obstacles initiaux, Virginie Ean, cogérante de l’entreprise Le Blanc Glacé avec son mari, avance de son côté un autre frein, celui de l’image collée à la grande distribution « pas toujours de haute qualité » dans l’esprit des consommateurs que le couple ciblait. Malgré tout, les producteurs ont fini par travailler avec Pascal Claret qui les avait sollicités, sensibles à l’argument de la diversification de leurs circuits de distribution, même s’ils ont effectivement dû expliquer leur démarche à certains de leurs clients.
À l’inverse, le groupement d’éleveurs laitiers installé à Remouillé En direct des éleveurs est allé de lui-même rencontrer Système U et E.Leclerc. Damien Baril, qui en fait partie, raconte comment, de producteurs de lait, les exploitants sont devenus transformateurs et vendeurs : « Ce n’était pas dans nos compétences et donc on a voulu se rapprocher de ceux pour qui ça l’était car on n’avait pas le droit de se tromper », rapporte-t-il. « La première fois qu’ils sont venus nous voir, c’était avec une brique de lait très traditionnelle, se souvient Laurent Ploquin, adhérent E.Leclerc à Clisson. On leur a demandé de retravailler le sujet car c’était trop classique. Or, la différenciation est essentielle. Dans nos magasins, il y a plein de produits, il faut raconter une histoire aux consommateurs. » Mission accomplie : proposant un conditionnement en poche qui se distingue des habituelles briques et bouteilles de lait, En direct des éleveurs a cassé les codes et s’est fait une place.
S’agissant de la contractualisation de la relation commerciale, Stéphane Houssin, à la tête de l’Intermarché Nantes Éraudière, a voulu pour sa part démystifier cette étape : « On l’a fait à l’ancienne : j’ai contacté Antoine Alabeurthe (responsable commercial de la brasserie artisanale bio et solidaire Tête Haute, basée au Cellier, NDLR), il m’a présenté ses produits, on s’est tapé dans la main et c’est parti comme ça. »
Et une fois la relation établie ? Le viticulteur Olivier Ganichaud, fort d’une expérience de plus d’une vingtaine d’années avec les GMS, ne voit pas de différence avec n’importe quelle autre relation commerciale : « C’est une relation humaine », résume-t-il, qui implique d’être travaillée dans la durée, en faisant attention aux besoins de ses clients. Plusieurs acteurs de la grande distribution se sont ainsi dit sensibles à la carte de l’animation, point fort des petits producteurs et transformateurs par rapport aux industriels. C’est justement le créneau qu’a investi Vincent Farias, repreneur il y a cinq ans de la société Atlantique Saumon Fumé : il propose des animations dans les GMS qui le lui demandent.
Mutualiser la logistique ?
Autre frein abordé : la question de la logistique, en particulier la problématique du dernier kilomètre, qui coûte souvent cher. « Pour le moment, on arrive à optimiser nos livraisons sur Nantes », relativise Antoine Alabeurthe. Le représentant de la brasserie Tête Haute, qui est allé voir il y a un peu moins d’un an Intermarché avec une gamme dédiée à la grande distribution, dresse un bilan plutôt positif : « Pour nous, ça a été un moyen de monter en compétences, en structurant l’entreprise sur le volet commercial et logistique », explique-t-il. « Nous savons que ce n’est pas forcément facile pour eux, alors nous nous adaptons à eux pour les livraisons, précise Stéphane Houssin. On leur demande combien de fois par semaine et quels jours ils peuvent nous livrer. » Pascal Claret, de son côté, identifie une solution : que les petits producteurs situés dans la même zone territoriale s’organisent pour mutualiser les livraisons. Preuve qu’il reste encore des marges de progression pour améliorer encore les relations entre les acteurs.