Vous avez choisi de mettre en place un modèle d’entreprise hybride. Quels en sont les fondements ?
On a fait un montage unique qui associe quatre éléments : une fondation actionnariale à but philanthropique, l’actionnariat salarié, des fonds à impact et l’entreprise à mission.
Dans le nord de l’Europe, il y a déjà pas mal d’entreprises qui fonctionnent avec des fondations, comme Lego, Velux. C’est très courant en Allemagne, au Danemark. Pas du tout en France car, pendant très longtemps, on a pensé que ce n’était pas possible qu’un chef d’entreprise puisse se déposséder. Ce n’est pas dans notre culture, mais ça commence à venir. Je pense qu’aujourd’hui, par rapport aux enjeux d’une économie plus responsable, il y a un certain nombre de chefs d’entreprise qui vont se poser cette question plutôt que de vendre au plus offrant, au risque que la boîte y perde son âme.
Si on fait le compte, aujourd’hui, il existe une quinzaine d’entreprises en France avec une fondation actionnariale, environ 150 entreprises à mission et l’actionnariat privé existe, mais pas de façon massive. En revanche, un modèle qui associe tout cela, plus un fonds d’investissement à impact, il n’y en a pas. On a poussé le curseur jusqu’au bout dans la logique d’un capitalisme utile.
Qu’est-ce que le « capitalisme utile » ?
C’est un capitalisme qui intègre bien sûr la rentabilité, sinon l’entreprise n’est pas pérenne, mais qui va aussi se préoccuper de l’intérêt collectif. C’est répondre à la question: « Est-ce que je sers à quelque chose ? » Pour y répondre, je pense qu’on ne peut pas éviter cette autre question: «à qui appartient l’entreprise ? » et donc sa gouvernance et son actionnariat… Parce que si l’on se préoccupe de l’intérêt collectif, on ne peut pas avoir un actionnariat unique, une personne qui décide de tout. Est-ce qu’en étant actionnaire unique, je peux dire que je représente l’intérêt collectif ? On voit bien qu’il y a un bug dans le système !
Une entreprise à mission ne peut pas, à mon avis, éviter de se poser cette question-là et d’être dans une gouvernance beaucoup plus ouverte avec un regard à 360° sur ses enjeux, ses parties prenantes et donc, un actionnariat qui n’entraîne pas l’entreprise dans la préservation de l’intérêt d’un seul actionnaire. C’est ce que l’on a essayé de faire.
Quel est le montage juridique ?
Quand on a pris le chemin vers l’entreprise à mission, Yann Rolland, qui était le président du groupe, voulait en assurer la transmission et l’indépendance. S’il avait vendu et que j’avais fait un montage avec les salariés et les fonds, on aurait eu une période très incertaine où les fonds auraient été majoritaires et nous minoritaires. Et ça, c’était hors de question. Yann a alors fait le choix de donner 40% de ses titres, de façon irrévocable, à un fonds de dotation qu’il a créé et dont il assure la présidence. Ce fonds détient un tiers du capital et nous donne un socle actionnarial qui me permet de faire le montage. Avec les salariés on a ainsi 33%. Ils sont venus massivement – 650 sont aujourd’hui actionnaires – et le fonds de dotation, plus les salariés et moi, détenons deux tiers du capital, mais 80% des droits de vote. De cette manière, on a garanti…