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Comment créer des champions français ?

À l’occasion de ses 20 ans, Start West, l’événement qui met en relation entrepreneurs innovants et investisseurs, a consacré une table-ronde nourrie des témoignages concrets de chefs d’entreprise afin d’évaluer notre capacité à créer des champions français.

Start West 2020. Au menu de la table-ronde : innovation, financement, recrutement

Existe-t-il une recette pour fabriquer les leaders de demain ? Sans doute que non, sinon les chefs d’entreprise s’en seraient emparés depuis longtemps… En revanche, les dirigeants intervenant à la table-ronde de Start West le 21 septembre 2020 ont fait parler leur expérience et pointé du doigt un certain nombre de signaux faibles dans l’écosystème français.

LA COURSE À L’INNOVATION

Premier item abordé lors de cette table-ronde : l’innovation. Vice-présidente d’Ose Immunotherapeutics, entreprise de biotech nantaise, Maryvonne Hiance témoigne de l’importance d’innover en se basant sur des besoins détectés et affirme déposer un brevet tous les deux mois pour protéger ses technologies. De son côté, Patrick Cheppe, PDG d’Europe Technologies, partant du principe qu’il est impossible de vérifier à l’échelle mondiale que les innovations ne sont pas copiées, préfère la stratégie de la vitesse. Ainsi, « quand ils copient la version A, on en est déjà à la version B ou C. » Le patron du groupe d’ingénierie mécanique souligne aussi une autre difficulté, au moment de passer à l’industrialisation. Il regrette notamment que les donneurs d’ordre ne partagent plus les risques liés à cette étape fondamentale dans l’innovation. « Aujourd’hui, on peut avoir la meilleure idée du monde, si elle ne répond pas au marché en matière de prix, de robustesse et de service après-vente, ça ne marche pas », assure-t-il, sachant qu’une bonne idée peut prendre beaucoup de temps avant d’émerger. Et de citer l’exemple de Nespresso qui a mis vingt ans avant de vivre le succès que l’on connaît…

Pour le dirigeant d’Europe Technologies, « en France, on est très forts en idées, mais on se retrouve face à d’autres qui sont super forts en marketing. Aux États-Unis, ils nous font toujours croire qu’ils sont champions du monde en tout et ils ont une telle puissance marketing que ça met le doute sur les marchés. » Et de proposer, avec un brin de provocation (?), de mettre en place ce qu’il appelle une « Drim », pour « direction de la recherche et de l’innovation marketing », consistant à faire piloter la recherche par le marketing. « Ça peut marcher », assure-t-il.

 

« UN ÉNORME TRAVAIL À FAIRE »

Autre difficulté typiquement française selon les intervenants : dans les entreprises qui travaillent sur des innovations de rupture, il faut souvent être convaincu pendant longtemps d’avoir raison, seul contre tous. Et s’accrocher pour franchir les étapes… Ce qui met en lumière toute l’importance du choix de l’équipe : « Les premiers recrutements sont fondamentaux. Il faut savoir s’entourer de meilleurs que vous dans les domaines que vous ne maîtrisez pas, souligne Matthieu Mallédant, président d’Hoppen, expert en transformation digitale des établissements de santé, implanté près de Rennes. Le rôle du dirigeant est alors de faire la synthèse, de donner du sens pour fédérer et faire grandir les équipes. »

Pour Paul-François Fournier, directeur de Bpifrance Innovation, l’accompagnement, le partage d’expérience, sont aussi des conditions sine qua non pour créer des champions. Il invite donc les entreprises à « multiplier les occasions ».

Maryvonne Hiance a immédiatement été convaincue de   la nécessité de se faire accompagner. « D’emblée, même quand on était trois, on a créé un comité d’experts qui nous ont fait bénéficier de leur expérience et éviter les erreurs du développement. » Et d’ajouter : « On se compare sans arrêt avec Boston qui est un incontournable des biotechs dans le monde, mais l’une de leurs qualités, c’est leur écosystème très proche des entrepreneurs. Et c’est vrai qu’en France, on commence à en bâtir un. »

Paul-François Fournier en est convaincu : la multiplication des réseaux contribue à faire revenir la France dans la compétition mondiale. Et il se veut optimiste. « De plus en plus de gens se parlent d’innovation, voient que c’est possible, partagent leur expérience. Ça prend du temps, mais c’est un terreau très puissant sur lequel on est en train de rebâtir des filières prometteuses », estime-t-il.

Selon lui, dans le domaine de la tech, les efforts menés depuis une dizaine d’années commencent d’ailleurs à porter leurs fruits. En revanche, « les ETI doivent recréer des champions dans ce qu’on appelle la French Fab, c’est-à-dire l’industrie traditionnelle. » Et là, reconnaît-il, « il y a un énorme travail à faire », tant en matière d’accompagnement, que de moyens financiers.

 

ATTIRER L’ARGENT PRIVÉ DANS L’INDUSTRIE

Car pour se développer à un niveau suffisant, l’argent reste un sujet incontournable.  « Si on veut garder les produits  en France et en Europe, il faut être capable de les financer jusqu’au bout et pour l’instant on ne sait pas le faire », observe pour sa part Maryvonne Hiance. La dirigeante, qui a été présidente de France Biotech, constate ainsi qu’en France et en Europe, il est impossible de faire une levée de fonds de plus de 50 M€. « Or, il faut plusieurs centaines de millions d’euros pour qu’un médicament aille sur le marché. » Résultat : « Soit la société de biotech se vend, la plupart du temps à un groupe étranger, soit elle vend une partie de ses molécules pour financer les autres. » Selon elle, la solution se trouve dans la création de consortiums d’investisseurs internationaux.

Dressant un bilan de la situation à l’instant T, Paul-François Fournier estime que « si on prend la Tech, beaucoup d’argent est mis dessus. On a des moyens qui commencent à être significatifs ». Sur l’industrie et les deep tech, en revanche, il admet qu’il reste beaucoup à faire. Une situation qu’il explique par une méconnaissance des investisseurs, mais aussi par de mauvaises expériences vécues par le passé. Pour lui, il convient de recréer une dynamique collective en mettant des moyens significatifs, non seulement via des financements publics, mais aussi en créant les conditions pour attirer l’argent privé. « Il y a tout à faire et ça va prendre un certain temps », avertit l’expert.

Dernier sujet abordé lors de cette table-ronde, l’international, qui constitue un vrai talon d’Achille pour les entreprises à fortes ambitions. Patrick Cheppe remarque qu’en France, « on a du mal à prendre sa valoche et à aller voir les clients. On commence par faire des études, des analyses alors que la meilleure chose à faire c’est d’y aller. Et en allant sur le terrain, on s’aperçoit qu’on est bien reçus. Globalement dans le monde, il y a une envie d’aider, de vous ouvrir des portes, de vous faciliter la vie », témoigne le dirigeant en mal d’international du fait de la crise sanitaire.

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