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Le retour au territoire, une tendance durable ?

À l’occasion de la Convention nationale du réseau de dirigeants APM qui s’est déroulée à Nantes les 16 et 17 mars, de nombreuses conférences étaient proposées aux adhérents. Parmi elles, les chefs d’entreprise étaient invités à réfléchir aux enjeux liés à la tendance migratoire vers les territoires. Morceaux choisis.

De G. à Dr. :Didier Lathuille, Damien Deville, Brigitte Fouillard et l'animateur Laurent Morvant.

De G. à Dr. :Didier Lathuille, Damien Deville, Brigitte Fouillard et l'animateur Laurent Morvant.

Les médias sont friands des témoignages d’actifs ayant fait le choix de quitter Paris pour aller vivre à la campagne en pensant y vivre mieux. Pour autant, le retour au territoire est-il un effet de mode ou une tendance durable ? C’est autour de cette question que deux experts et un chef d’entreprise ont échangé leurs réflexions et expériences dans le cadre du cycle de conférences “Mondes sociétaux“ proposé par l’Association pour le progrès du management (APM).

Brigitte Fouilland, chercheuse et professeure en sciences sociales à Sciences Po, a d’abord voulu déconstruire trois mythes autour de cette tendance du retour aux territoires. D’abord, en pointant que, contrairement à une idée largement répandue, la crise sanitaire n’a pas déclenché le désir de quitter les grandes métropoles et en particulier Paris. « Ces tendances étaient déjà à l’œuvre », souligne-t-elle. Ensuite, il est faux de penser qu’on assiste à un bouleversement de la structure urbaine et territoriale de la France. Selon elle, des éléments structurants vont perdurer, comme la métropolisation ou la littoralisation. Enfin, contrairement à une autre idée reçue, les cadres pouvant télétravailler n’ont pas été les seuls à quitter la métropole, « il y a une vraie diversité de personnes qui ont bougé et continuent de bouger », relève la chercheuse, citant notamment les pré-retraités et les précaires en recherche d’un territoire avec un niveau de vie plus accessible.

Des territoires gagnants, d’autres perdants

Damien Deville, géographe « penseur des territoires », rappelle de son côté que même si l’on assiste à un mouvement de Paris vers d’autres métropoles comme Nantes ou Bordeaux, les habitants de ces villes partant à leur tour vers d’autres plus petites, toutes suivent en fin de compte le même modèle de développement. Au final, le changement auxquels ces personnes aspirent n’est donc pas forcément au rendez-vous, ce qui peut générer des regrets…

Le chercheur poursuit en rappelant que « l’histoire territoriale française a fait des gagnants et des perdants que les migrations post-Covid ont eu tendance à accélérer ». Pour lui, il y a un enjeu à remontrer les possibilités de ces territoires perdants, d’un point de vue entrepreneurial et citoyen. Un positionnement auquel Didier Lathuille, dirigeant d’une PME industrielle implantée près de Chamberry, se rallie. Lui a grandi et continue de vivre dans un territoire qui souffre de la proximité de la Suisse à l’attractivité très forte, avec des salaires proposés trois fois supérieurs. Il se rappelle s’être posé la question plus jeune « de savoir où je voulais vivre, avant de me rendre compte que ce n’était pas le où mais bien le comment qui importait ». Et de poursuivre : « Je ne peux pas imaginer exercer mon activité sans penser à mon territoire. Tout le monde doit s’impliquer. On fait donc un peu de lobbying, et pas que sur le volet économique », ajoute-t-il. À côté de ses fonctions de dirigeant, il est président de Green 74, un groupement encourageant la responsabilité environnementale des entreprises sur son territoire, en relation notamment avec les politiques locaux, pour faire bouger les choses.

Rebondissant sur ces propos, Brigitte Fouilland, qui a elle-même été élue au Havre durant six ans, constate que la gestion purement administrative des territoires a peu à peu laissé la place à une implication croissante des entreprises, des associations et des citoyens. « Partout, il y a des aspirations à être tous davantage partie prenante des décisions, relève-t-elle. Le problème, c’est que sur le terrain, il n’est pas facile de peser sur la décision publique. » Ce qui génère immanquablement des crispations… Des tensions palpables qu’elle explique par le fait que « l’on est dans un pays où la décentralisation mise en place est fatiguée ».

Retisser les liens

Pour Damien Deville, la clé serait de « retisser le lien à l’humain et au non humain ensuite », dit-il, en s’intéressant au vivant dans son ensemble. Le géographe constate que nos territoires sont trop uniformisés « et aujourd’hui, ça nous revient comme un boomerang au visage ». Autre erreur selon lui, le fait d’avoir spécialisé certains territoires dans des filières, ces spécialisations étant de plus en plus décidées depuis Paris. « Cette théorie s’est confrontée à des réalités complexes », certaines filières devenant au fil du temps plus compétitives que d’autres. Parlant pour son territoire, Didier Lathuille, qui regrette la concurrence absurde entre les villages d’un même territoire, constate que « beaucoup de gens partent pour aller vers la métropole qui semble plus attractive sur le papier. On n’arrive pas à donner du sens pour que les gens restent », regrette-t-il. Évoquant le réchauffement climatique qui touche les stations de ski, il interroge : « Tout ce qui a été pensé il y a 30 ans se casse aujourd’hui la figure. Comment fait-on maintenant pour rééquilibrer ? »

Les entreprises ont un rôle à jouer

Proposant un début de réponse, Brigitte Fouilland témoigne que l’on voit « émerger des expériences, des dynamiques, avec de vraies prises en main de certains territoires ». Et de citer l’exemple de Cahors ou de certaines villes moyennes de Bretagne. Reste que, pour l’heure, il s’agit de cas de figure. « Comment monte-t-on en puissance ? », questionne-t-elle, d’autant que ce n’est pas parce qu’une stratégie marche sur un territoire que ce sera forcément le cas ailleurs. Selon elle, dans les territoires, la sécurité pour l’avenir consiste à se diversifier et avoir une certaine autonomie. La chercheuse estime par ailleurs que « les territoires cherchent le développement. Or celui-ci ne rime pas forcément avec croissance ». Pour elle, « le développement est possible avec des revenus moindres, une sobriété plus grande ».

Pour sa part, Damien Deville invite aussi à respecter les singularités de chaque territoire, en évitant les recettes toutes faites. Une démarche justement mise en œuvre par Didier Lathuille. Le chef d’entreprise a réfléchi à la manière dont il pouvait influer, à son échelle, sur son territoire. Il a ainsi ouvert son entreprise à une diversité d’activités, en réinternalisant par exemple l’entretien des espaces verts. « Ainsi, les collaborateurs viennent travailler, mais entretiennent également un lien social ». Parallèlement, via le réseau Green, il pousse ces impulsions « pour que 1+1 fasse 3, 4, 5. C’est comme ça que l’on peut créer du positif », estime-t-il. Brigitte Fouilland en est également persuadée, il faut creuser ce sillon. Citant le cas de l’Italie centrale, elle relève que « l’innovation est venue des chefs d’entreprise qui se sont mis à travailler ensemble pour créer un modèle de développement territorial ». Enfin, Damien Deville invite les territoires à se saisir aussi de l’imaginaire, qui peut constituer un effet de levier sur les gens. Didier Lathuille abonde dans ce sens : « Un territoire, c’est vaste, profond et ça bouge. Le connaître, ça rend fier. » Et de conclure : « Il faut faire de la pédagogie auprès des habitants, sur leur territoire, mais aussi sur son économie. Et l’entreprise a un rôle à jouer là-dessus. »

Les dirigeants invités à se confronter à la mort

Les dirigeants ont pu tester leur propre mort en se couchant plusieurs minutes dans un cercueil au couvercle abaissé.

Les dirigeants ont pu tester leur propre mort en se couchant plusieurs minutes dans un cercueil au couvercle abaissé.

« On va proposer aux membres de vivre et partager des expériences », promettait Schany Taix, directeur de la Maison APM, avant la convention nationale de l’association. Promesse tenue, à travers notamment le Métaverne, un hall expérientiel. Au sein de celui-ci, un atelier a particulièrement retenu notre attention. Il proposait aux dirigeants de venir se mettre en condition de leur propre mort en se couchant plusieurs minutes durant dans un cercueil au couvercle abaissé. Une idée pour le moins insolite, développée par Eric Le Roy, expert APM, qui a souhaité proposer cette expérience « pour aider les hommes et les femmes à dépasser leurs peurs ».
Les dirigeants en sont ressortis avec autant de vécus différents. Ainsi, Etienne, qui abordait avec inquiétude cette expérience du fait notamment de sa claustrophobie et de son angoisse à l’idée de laisser derrière lui ses proches, a d’abord dû apprivoiser une sensation de suffocation. Dans un second temps, il a apprécié de continuer d’entendre les bruits et rires extérieurs, lui permettant d’en déduire que, finalement, une fois mort, la vie continuait pour les autres. Christophe, quant à lui, s’est d’abord senti mal à l’aise, sentant son cœur accélérer face à l’idée de se confronter à sa mort. Ce sentiment a néanmoins rapidement laissé la place à « une plénitude », avec l’idée que cet état ôtait toute pression, tout besoin d’avoir un rôle à jouer. « Ça me donne envie de travailler sur moi afin d’être plus authentique », a-t-il témoigné. Marie, quant à elle, s’est rapidement sentie rassurée par l’odeur de sapin. « J’ai pensé à mes parents, à mes enfants, à la transmission, m’interrogeant sur ce qu’on laissait. » Tous ceux que nous avons interrogés ont finalement apprécié l’expérience, certains aspirant même à poursuivre cet exercice de déconnexion.

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