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Entretien avec Olivier et Sébastien Royer, dirigeants de Maison Royer et Royer cosmétique : « On n’est pas près de s’ennuyer ! »

De l’agroalimentaire aux cosmétiques, il n’y a qu’un pas… de géant, qu’ont pourtant allègrement franchi Sébastien et Olivier Royer il y a près de dix ans. Les deux frères, producteurs d’escargots près des Herbiers (85), ont investi avec autant d’audace que d’énergie un marché pourtant ultra-concurrentiel. Récit du parcours étonnant de cette PME familiale de 16 personnes, qui a réalisé en 2021 plus de 2,5 M€ de chiffre d’affaires.

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Olivier et Sébastien ROYER, dirigeants de Maison Royer et Royer cosmétique © Benjamin Lachenal

Quelle est l’histoire de votre entreprise née il y a une trentaine d’années ?

Sébastien Royer : Mon père était boulanger. Mais un jour, alors qu’il avait une quarantaine d’années, il a eu un accident de travail et il a été contraint de changer de métier. Pôle emploi lui a proposé de faire une formation pour devenir opticien, mais il fallait attendre un an. Or, il ne pouvait pas rester à ne rien faire et entre-temps, il avait vu dans une émission télévisée que les escargots pondaient. Il s’est alors dit qu’il allait faire du caviar d’escargots. Il a monté son petit laboratoire sur la terrasse de la maison, mis au point son produit et commencé à le commercialiser. Mais ne vivre que de cette activité alors qu’on était quatre enfants à la maison, c’était un peu compliqué car ce n’était pas forcément un produit de consommation courante… Ils se sont ensuite mis à cuisiner les escargots et à les vendre sur les marchés. C’était une période un peu compliquée, de vaches maigres on va dire… Et finalement je suis venu les aider à 22 ans. Ensuite, Olivier nous a rejoints et on a développé l’élevage à plus grande échelle. On est ainsi passés de 500 kg par an à l’époque de mon père à 15 tonnes aujourd’hui…

Quelles ont été les étapes pour passer de l’échelle artisanale à une production industrielle ?

SR : Il a d’abord fallu mettre au point toutes les techniques de production. Il a fallu tâtonner pas mal au départ ! Nous sommes d’ailleurs un laboratoire pilote au niveau national pour l’héliciculture. De mon côté, j’ai développé la partie restauration : au lieu de faire les marchés où l’on passait beaucoup de temps sans faire de gros volumes, j’ai pris ma voiture et je suis allé voir les étoilés et tous les bons restaurants de la région. Il faut savoir qu’à l’époque, l’escargot était un plat qu’on mangeait plutôt en famille. Il a donc fallu convaincre les restaurateurs de le mettre à la carte et finalement ils ont bien joué le jeu. Aujourd’hui, on travaille avec environ 50 restaurateurs dans la région mais il a bien fallu une petite dizaine d’années pour mettre tout ça en place. Ensuite, mon père s’est retiré de la société et on a continué de développer l’entreprise Olivier et moi.

Comment vous êtes-vous réparti les fonctions ?

SR : Je m’occupe de toute la partie commerciale.

Olivier Royer : Et moi je suis responsable de la partie production. Je m’occupe aussi de la transformation et de la création de nouveaux produits.

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En 2019, Sébastien et Olivier Royer ont déménagé l’entreprise sur un terrain plus grand, de quatre hectares. © Royer cosmétique

Quel est le processus ?

OR : Tout se joue entre mars et fin août. Les escargots naissent ici, ils vont d’ailleurs éclore d’ici quelques jours. Puis on va les mettre en nurserie où ils vont rester deux mois, avant d’être transférés dans les parcs de production mi-mai. Ensuite, fin juillet et pendant tout le mois d’août, on va embaucher 15 saisonniers pour les ramasser. Puis on va les faire baver. Ce qui est délicat par rapport à d’autres élevages, c’est que tout se passe en quelques mois. On travaille avec 300 000 à 400 000 escargots.

SR : Il n’y a pas le droit à l’erreur. On fait une bande par an, si on la plante, on plante tout, même si on a plus d’une tonne de stock de reproducteurs, au cas où il y aurait un problème… ce qui n’est encore jamais arrivé, heureusement.

ON N’A PAS DE LIMITES ! ET ON VEUT POUVOIR AUSSI RÉCOMPENSER LES SALARIÉS À LA HAUTEUR DE LEUR TRAVAIL.

Quel a été le déclencheur de la diversification ?

SR : La crise de la quarantaine ! Ça existe vraiment ! L’entreprise fonctionnait bien, on n’était que deux donc on ne pouvait pas faire plus et on commençait à s’ennuyer… on voulait même vendre pour passer à autre chose. Pendant un an on a reçu plein de cadres qui avaient envie de se mettre à leur compte, mais on ne trouvait jamais le bon profil. Il faut dire que l’on a un métier plutôt spécifique, avec trois casquettes : d’éleveurs, de transformateur et une casquette commerciale. Et on avait vraiment à cœur que l’entreprise perdure. Or, un jour que l’on était en train de prendre le café, on s’est mis à faire des recherches sur internet. On s’était en effet rendu compte qu’en manipulant les escargots on avait les mains plus douces et que les petites coupures cicatrisaient plus vite. On s’est aperçu que dans l’Antiquité l’escargot était considéré comme un trésor : les Égyptiens, les Chiliens l’utilisaient. Et là, on s’est dit qu’il y avait un truc à faire. On a fait analyser la bave de nos escargots et à notre grande surprise, on a trouvé de l’allantoïde, du collagène, de l’élastine… En fait c’est un des principes les plus puissants dans la cosmétique aujourd’hui. Souvent, une plante n’a qu’un actif, tandis que la bave d’escargot en contient plusieurs. Comme on avait un peu de trésorerie, on s’est dit qu’on pourrait sortir une crème.

Comment franchit-on le pas pour aller vers un domaine aussi différent de celui qui était le vôtre à l’origine ?

SR : On n’y connaissait rien du tout évidemment. J’ai trouvé un docteur en pharmacie qui fabriquait des cosmétiques et on lui a expliqué notre idée : fabriquer un produit avec une forte concentration de produits actifs. On voulait faire un produit de qualité, qui marche. Je ne me voyais pas aller ensuite mouiller ma chemise auprès des pharmaciens avec un produit qui n’aurait pas été efficace. Sauf que ça a été un vrai défi technique car la bave d’escargot est une matière première vivante, que l’on en voulait beaucoup et qu’en plus on voulait une crème bio. Il a fallu à peu près huit mois pour mettre au point le produit et on a mis 30 % de bave d’escargot fraîche à l’intérieur. Aujourd’hui, la bave d’escargot dans les cosmétiques ça devient à la mode et on en trouve partout. Sauf que, la plupart du temps, elle est coupée avec de l’eau, ce ne sont que des extraits.

Et puis je suis allé faire la tournée des pharmacies. Au départ, on m’a pris pour un fou ! Mais comme en Vendée on est assez chauvins, elles ont finalement joué le jeu. La première année, alors qu’on avait investi 10 000 €, j’ai fait 250 000 € de chiffre d’affaires avec la crème visage qui est encore aujourd’hui notre produit le plus vendu. Et on a très vite dépassé le chiffre d’affaires fait par Maison Royer…

Vous êtes pourtant allés sur un marché ultra- concurrentiel ! Quelle est votre force ?

OR et SR : La qualité de nos produits !

SR : Quand les clients sont contents du résultat, ils continuent d’acheter, ils sont en demande. Pour une petite marque comme nous, avec nos petits moyens, si l’on fait de mauvais produits, un an après on est morts ! Ce qui joue aussi en notre faveur, c’est d’être une marque locale, 100 % française, axée sur le naturel, le bio, qui sont des marchés porteurs aujourd’hui. Et aussi le fait d’être agriculteurs. Tout cela fait boule de neige.

 

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© Royer cosmétique

Comment le développement de cette nouvelle activité s’est-il organisé ?

SR : J’ai commencé par les Pays de la Loire en démarchant les pharmacies, sachant qu’il y en a 22 000 en France. C’est donc un gros marché. Ensuite, en 2017, on a commencé à avoir une grosse demande en magasins bio. Ils se sont ouverts à la cosmétique et, depuis, ont pris une part de marché énorme aux pharmaciens. On a ensuite commencé à travailler avec un commercial multicarte, puis plusieurs, jusqu’à en avoir une dizaine pour couvrir le territoire national et ça a bien fonctionné dans un premier temps. Mais ensuite, on a vu les limites de ce système : ils ont tellement de cartes qu’ils ne peuvent pas passer assez régulièrement dans les points de vente. Alors que les pharmaciens aiment avoir un suivi régulier, être ac- compagnés, formés… Sur mon secteur, c’était moi qui allais faire la tournée et je faisais un chiffre d’affaires de dingue. On a alors décidé, et ça s’est fait au tout début de la crise du Covid, d’arrêter de fonctionner avec ce système et de recruter des commerciaux. J’en ai embauché huit, toutes esthéticiennes de métier. On les a embauchées en janvier ; en mars, on doublait notre chiffre d’affaires.

Le Covid n’a donc pas eu d’impact sur votre activité ?

SR : Sur Maison Royer on a été complètement à l’arrêt avec tous nos restaurateurs, mais sur la partie pharmacies, magasins bio, on a pu continuer de travailler. Et pour Royer cosmétique, globalement, au niveau national, on n’a pas souffert. Je dirais même que le Covid a eu pour nous un impact positif. On commençait alors à beaucoup développer l’export. On avait fait notre premier salon à New York durant lequel on avait obtenu le deuxième prix en innovation sur le secteur bio. On était ensuite partis au Canada où on avait trouvé un distributeur et on avait aussi commencé à faire des salons en Allemagne, Belgique, Suisse, Russie, Ukraine, Côte d’Ivoire, en fonctionnant par opportunités. Mais quand le Covid est arrivé, tout s’est arrêté. Avec mon directeur export, on s’est alors rabattus sur le marché national, on a repris tous les chiffres et c’est comme ça que l’on s’est aperçus que les multicartes, ça ne fonctionnait pas. Le Covid nous a finalement permis de nous poser, et je dirais même qu’heureusement que l’on a eu cette pause forcée car on aurait peut-être explosé en vol sinon. Les dossiers, les projets qui fusaient de partout, une croissance trop rapide, non maîtrisée, ça peut vite devenir dangereux.

Et aujourd’hui ?

SR : Aujourd’hui, sur le national, les commerciales ont un secteur géographique énorme à couvrir. Le but c’est donc de doubler la force de vente rapidement car elles vont vite saturer. Parallèlement, on a repris les salons internationaux fin 2021 et on est contents car on a déjà décroché deux contrats, l’un au Qatar et l’autre à Dubaï. Et le Canada reprend aussi. On était déjà à 35 % de progression l’année dernière par rapport à 2020 et là on s’attend à faire une progression encore plus élevée avec tout ce qui est en train de se mettre en place. L’export peut très vite faire monter le chiffre.

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Olivier et Sébastien ROYER, dirigeants de Maison Royer et Royer cosmétique © Benjamin Lachenal

Être frères et associés, c’est un atout ?

SR : On s’est toujours très bien entendu Olivier et moi. On se complète bien et le fait d’être frères permet de se faire pleinement confiance. C’est vraiment une de nos forces. On a 11 mois d’écart et déjà, à 13 ans, on avait monté notre petite affaire de peinture et tapisserie et on allait proposer nos services à la famille ! Je suis un hyperactif et mon frère est pareil. On est d’une famille assez « speed ». Mais même si on travaille beaucoup, on s’éclate aussi !

OR : Notre force c’est que l’on se comprend tout de suite, l’un va apporter une idée et l’autre rebondir dessus.

SR : On va pouvoir se critiquer aussi. La critique fait grandir. C’est pour ça d’ailleurs que l’on aime faire participer l’équipe, les jeunes notamment. C’est eux l’avenir, il faut savoir les écouter.

OR : C’est un œil extérieur qui permet de voir les choses sous un autre angle, ça nous fait du bien.

LE COVID NOUS A PERMIS DE NOUS POSER, ET JE DIRAIS MÊME QU’HEUREUSEMENT QUE L’ON A EU CETTE PAUSE FORCÉE CAR ON AURAIT PEUT-ÊTRE EXPLOSÉ EN VOL SINON.

Vous semblez fonctionner beaucoup à l’instinct…

SR : La fibre commerciale, on l’a ou on ne l’a pas, pas besoin de faire une école de commerce pour ça. Il faut aimer les gens, aller vers eux… Je n’embauche d’ailleurs pas par rapport aux diplômes, sauf quand c’est nécessaire, pour les laborantins, par exemple. Ce que je veux, ce sont des gens qui ont envie, qui ont « les fils qui se touchent », c’est-à-dire qui percutent. Ce ne sont pas les diplômes qui font que les gens vont être efficaces. Et quand on aime, on apprend vite !

Quel regard avez-vous sur le chemin parcouru et vers quoi tendez-vous ?

OR : On n’a pas de limites ! Et on veut pouvoir aussi récompenser les salariés à la hauteur de leur travail.

SR : Quand on voit ce qu’on a réalisé avec ce qu’on avait, je me dis : pourquoi s’interdire des choses ? Après, on a un chiffre d’affaires que l’on veut atteindre : 10 M€ d’ici cinq ans, j’espère avant. Avec tout ce que l’on a mis en place, on devrait les atteindre assez rapidement normalement. On a encore plein d’idées : lancer une gamme de compléments alimentaires, développer le canal digital et la partie tourisme avec le gîte que l’on a ouvert pendant le Covid, les visites d’entreprise… Mais on a aussi plein d’autres pistes sur lesquelles on ne nous attend pas. C’est plaisant d’innover et on ne veut pas mettre tous nos œufs dans le même panier. On n’est donc pas près de s’ennuyer !