Un regard vif, intense même, derrière des yeux bleu glacier que les lunettes ne parviennent pas à masquer et qui, on le devine, peut s’avérer aussi perçant qu’il se révèle ce jour-là serein, c’est ce qui frappe en premier lieu lorsque l’on rencontre Yves Gillet. À 67 ans, ce self made man qui a bâti à la force de son travail et de sa volonté un groupe reconnu de conseil et d’ingénierie en aménagement du territoire, n’est pas près d’abandonner une once de cette énergie mobilisatrice dont il a fait sa signature. « Il a une forme d’éternelle jeunesse », dit d’ailleurs de lui son ami François Guérin. Voilà qui annonce la couleur…
Au lendemain de la célébration d’un événement riche en symboles et en émotions – les 40 ans du groupe -, aucune trace de fatigue chez Yves Gillet. Pourtant, « la fête a duré longtemps », s’amuse-t-il, réunissant 95 % des 600 collaborateurs, venus pour partie de l’autre bout du monde.
Cette date du 21 juin 2022 résonne à plus d’un titre comme une étape clé dans la vie du groupe, car elle officialise aussi sa transmission. Le dirigeant affirme la vivre sereinement, lui qui avait posé dès 2018 la date butoir de 2022, se donnant ainsi le temps de préparer l’après en mettant en place une nouvelle gouvernance, « plus collective ». Il reconnaît néanmoins que cette transition a nécessité un travail sur lui-même, « un petit deuil de la manière de faire d’avant. J’étais quand même très très très présent dans les décisions. Ce détachement-là, c’est une petite conquête sur soi ».
L’HOMME PRIVÉ VS LA PERSONNALITÉ PUBLIQUE
Pour autant, difficile de vraiment larguer les amarres… D’ailleurs, il reste président de Keran et continue de s’impliquer dans un certain nombre de projets. Impossible d’imaginer un autre scénario pour un homme qui se définit comme de tempérament « assez actif ». Une litote quand on connaît ses engagements multiples au sein de l’écosystème économique local, au-delà même de son activité professionnelle déjà très prenante.
Au seuil de cette nouvelle étape de sa vie, il choisit de faire sienne une phrase du philosophe Edgar Morin : « Vivre, c’est traverser des mers d’incertitude en allant se ravitailler sur quelques îlots de certitude ». Appliquée à sa situation, il entend – enfin – vivre dans un monde où tout ne sera pas planifié, tout en gardant quelques points fixes. « J’aime être dans des univers très différents : économique, culturel, sportif, familial, amical : je vais pouvoir mieux les équilibrer, laisser de la place à l’imprévu », se réjouit-il.
Si Yves Gillet est une personnalité largement (re)connue de la sphère économique, de l’homme privé en revanche, on sait peu de choses. Pourtant, il se livre volontiers quand on l’interroge sur cette autre facette. À commencer par son enfance, qui donne un certain nombre de clés sur son parcours d’homme, la manière dont il s’est forgé.
Dernier de huit enfants, il est profondément enraciné dans le territoire : né à Derval, ses parents étaient agriculteurs. Il évoque « une situation sociale très difficile » dans une petite ferme en terre battue, sans eau courante. Pour lui, enfance n’a pas rimé avec insouciance. Pas question de jouer, il fallait « bosser, parfois avant d’aller à l’école. La notion de travail, j’ai su très vite ce que ça voulait dire », commente-t-il.
Quand on lui demande quel enfant il était, la réponse fuse : « rebelle. C’est ce qui me qualifie le mieux », reconnaît-il, non sans une certaine fierté. Très jeune, il se caractérise par son refus de l’autorité et la volonté de se distinguer de son frère né juste avant lui et qu’on cherche à lui imposer comme modèle.
Rebelle, c’est ce qui me qualifie le mieux.
Sur le plan scolaire, Yves brille. Ce qui lui permet de faire passer quelques pilules… « Comme ça se passait très bien à l’école, j’avais un an d’avance, on me foutait la paix », résume- t-il dans un langage aussi franc et direct que sa personnalité.
Car le jeune garçon, puis l’adolesce…