Couverture du journal du 26/04/2024 Le nouveau magazine

Ils ont quitté le bureau pour l’atelier

Donner un nouveau sens à sa vie, s’aligner sur ses valeurs, travailler pour soi, laisser parler sa créativité… Telles sont les principales raisons qui poussent certains cadres ou dirigeants à se lancer dans l’artisanat. Rencontre avec quatre entrepreneurs vendéens qui ont décidé de troquer leur clavier d’ordinateur pour mettre la main à la pâte.

Julie Audureau donne une seconde vie aux objets anciens, à Longeville-sur-mer © Nicolas Alvarez

« Nous observons une augmentation des reconversions chez des personnes qui exerçaient une profession intellectuelle et qui souhaitent aujourd’hui donner un nouveau sens à leur vie, ne plus travailler pour les autres mais pour eux-mêmes, analyse Gilles Anquetil, chargé de développement économique au sein de la Chambre de métiers et de l’artisanat de Vendée. Ce phénomène constaté depuis plusieurs années s’est accéléré avec le Covid. » Pierre Dalicieux, 37 ans, devenu boulanger, après dix ans de journalisme est le parfait exemple de cette tendance. Installé à La Roche-sur-Yon, il a créé fin 2022 Miches, son fournil artisanal, et livre aux particuliers et aux entreprises son pain fabriqué à partir de farines anciennes et de levain qu’il cultive lui-même. « Comme beaucoup de gens, j’ai fait mon pain pendant le confinement. Et alors que je souhaitais depuis quelque temps me reconvertir, j’ai commencé à me demander si je pouvais faire de cette nouvelle passion mon métier. » Avant de créer son entreprise, ce père de trois enfants a suivi une formation à distance. « Afin de disposer d’une journée par semaine pour étudier, j’ai pu négocier avec mon employeur un 80 %. » Une fois le CAP en poche, avant de quitter son poste au sein de la télévision locale TV Vendée, Pierre Dalicieux a monté un dossier dans le cadre du dispositif Démission-reconversion pour pouvoir bénéficier du chômage, et ainsi investir dans du matériel et la construction de son laboratoire dans le jardin de sa maison.

Pierre Dalicieux, ancien journaliste devenu boulanger © DR

« C’est un peu vertigineux »

Se sentant soutenu par sa famille et ses amis, il reconnaît que « tout n’est pas tout rose. C’est un peu vertigineux de quitter son emploi et de se lancer dans un tel projet. Quand on est indépendant, que l’on travaille pour soi, il y a un sentiment de liberté très agréable mais en même temps il ne faut pas se reposer sur ses lauriers. Si on ne se bouge pas, on ne gagne rien. »

Emmanuel Moreau fondateur de La P’tite Soupe à Nesmy © La P’tite Soupe

Ce sentiment est partagé par Emmanuel Moreau, 49 ans, fondateur de l’entreprise La P’tite Soupe à Nesmy. Il admet que se lancer à son compte dans une activité artisanale « représente beaucoup de temps. Ce matin par exemple, je me suis levé à 5h et en général, je termine à 22h. Il faut beaucoup d’abnégation, un peu de courage et de l’huile de coude. Si on n’a pas ça en tête, on peut vite tomber. » Emmanuel Moreau, qui aujourd’hui prépare et commercialise des soupes à base de légumes bio et de saison, confie « ne pas avoir suivi des chemins très linéaires ». Après des études en mathématiques et ingénierie, il se dirige vers l’enseignement et devient directeur d’école. En 2015, il prend la direction de la MGEN Vendée qu’il quitte finalement en août 2021 pour créer son entreprise. Le déclic, Emmanuel Moreau l’a eu en 2019, au moment de passer un Master en management et administrations des entreprises, en vue d’acquérir de nouvelles compétences au sein de la mutuelle. « Cela m’a permis de faire un peu d’introspection, de me demander qui j’étais et où je voulais aller. Je me suis alors dit, autant aller vers la cuisine, ce que j’ai toujours voulu faire depuis que je suis tout petit. Mais il y a 35 ou 40 ans, quand un élève était bon en maths ou en français, il ne devenait pas cuisinier. En clair, on ne m’a pas laissé le choix de suivre cette voie. » Même s’il lui arrive de regarder parfois dans le rétro, le chef d’entreprise n’a aucun regret. « Tout ce que j’ai fait, c’était avec plaisir. Cela m’a permis de rencontrer des gens formidables dans différents domaines. »

 

 

Thomas Paupion, dirigeant de Fer de la Côte aux Sables-d’Olonne © DR

« J’avais tout… et pourtant j’étais malheureux »

De son côté, Thomas Paupion, 32 ans, artisan métallier, dirigeant de l’entreprise Fer de la Côte aux Sables-d’Olonne, admet en avoir voulu au système éducatif. « Pendant longtemps, je me suis dit que l’on m’avait mal orienté et que j’avais perdu du temps. Mais, aujourd’hui, mes différentes expériences et connaissances me permettent de bien gérer ma société. » Sept ans après la création de sa micro-entreprise, le jeune entrepreneur revient sur son parcours atypique. « À la base, je n’étais pas hyper bon à l’école. Et puis en première, grâce aux options choisies, ça commençait à mieux se passer. » Thomas Paupion s’oriente alors vers un bac STI 2D (Sciences et technologies de l’ingénierie, de l’innovation et du développement durable) qu’il obtient avec mention. Encouragé par ses professeurs, il se dirige ensuite vers un BTS Thermique et Bâtiment. Lorsqu’il se retrouve sur le marché du travail, il est embauché en tant que thermicien chez VST à La Ferrière. « Je devais aller chercher des réductions et mettre des prix derrière des codes. Pour moi, il n’y avait rien de créatif là-dedans », évoque-t-il sans ambages. Au bout d’un an et demi, il quitte l’entreprise et est recruté par un bureau d’études des Sables-d’Olonne. « Quand mon patron m’a proposé un CDI, j’ai refusé en me disant que ça ne servait à rien de se mentir. J’avais tout, un très bon salaire, j’étais aux 35 heures et pourtant j’étais malheureux. » Intéressé par le métier de métallier, il décide de partir à Saint-Nazaire pour suivre une formation pour adultes. Malgré la réussite de son cursus, le jeune homme fait une dépression, avant de reprendre sa vie en main. Début 2016, bénéficiant du parrainage de la société sablaise Sermesa, il installe son atelier dans le garage familial. « Aujourd’hui, je suis en accord avec mes valeurs. Certes, c’est un investissement physique, moral et financier mais c’est surtout une fierté, parce que j’ai choisi ce que je fais. »

« J’ai besoin de faire avec mes mains »

À Longeville-sur-Mer, Julie Audureau s’est lancée dans l’entrepreneuriat il y a six ans. Spécialisée dans le surcyclage, elle donne une seconde vie à des objets anciens. « Lors de ma formation d’étalagiste événementiel à l’école d’art MJM à Rennes, le cours qui me plaisait particulièrement était le cours de création d’objets. » Mais plusieurs années se sont écoulées avant la création de sa boutique. « Quand j’ai terminé mes études en 2003, j’avais 21 ans. Je n’avais pas la maturité pour me mettre à mon compte. Mes parents avaient aussi un peu peur que je me lance dans un métier artistique. J’ai donc réfréné tout ça jusqu’à mon installation. » Julie Audureau a multiplié les expériences, en passant notamment par des postes de commerciale pour les enseignes Leroy Merlin ou encore Porcelanosa à La-Roche-sur-Yon. « Plutôt que de vendre du carrelage, j’aurais peut-être préféré carrément faire la salle de bain. J’ai toujours eu ce besoin de faire avec mes mains. » Lorsqu’elle crée son entreprise en octobre 2017, elle est toujours salariée mais sa grossesse a été un accélérateur. « J’avais envie de transmettre autre chose à mon enfant. J’avais un bon salaire, mais je ne me sentais plus à ma place. » Épaulée par son compagnon lui-même entrepreneur, la créatrice décide finalement de se lancer à 100 % dans son activité. Le couple déménage alors sur la côte vendéenne. « Beaucoup de gens aimeraient aussi sauter le pas. Je pense qu’il n’y a pas d’échecs mais que des expériences. C’est chouette d’aller au bout de ses projets ou tout du moins de creuser l’idée jusqu’au bout. Pour moi, c’est une joie de me lever chaque matin pour faire ce que j’aime, de ne plus avoir la boule au ventre le dimanche soir. Aujourd’hui, je me sens très heureuse. »

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