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Serge Papin, ancien PDG de Système U : « Le patron, c’est un gars du pays »

Ce slogan unico des années 80, l’ancêtre des super u, est à l’image de Serge Papin : fédérateur et profondément attaché au local. Ce fils d’épiciers, visionnaire, pionnier du bien consommer et du mieux manger, a souvent eu un discours détonnant dans le monde de la grande distribution. Retour sur le parcours inspirant de l’ancien PDG de Système U pour le premier volet de notre série consacrée aux sagas entrepreneuriales.

Serge Papin

Serge Papin © Stéphane Chevillon

En mai 2018, Serge Papin s’apprête à quitter définitivement ses fonctions de président de Système U, après avoir consacré toute sa carrière à la coopérative. À l’heure du bilan, la journaliste Nathalie Lévy lui pose alors cette question : « Et si c’était à refaire ? » « Si j’avais 30 ans aujourd’hui et que j’ouvrais mon magasin, j’aurais ma ferme à côté pour vendre mes produits», lui répond-il sans l’ombre d’une hésitation. Quatre ans plus tard, le discours du jeune retraité n’a pas changé d’un iota.

UNE CONSOMMATION VERTUEUSE

« Dans les années 80, la grande distribution était fière de vendre les produits du monde entier parce que c’était dans l’air du temps, explique-t-il. Aujourd’hui, il faut revenir à une consommation locale, plus en lien avec la production agricole locale, l’environnement, la santé et qui soit moins gourmande en énergie. La grande distribution doit être un élément moteur sur ces sujets-là. Elle doit avoir un ancrage local plus incarné, et ainsi favoriser la vie au pays, l’emploi et l’économie de tout un territoire. »

Convaincu que la consommation effrénée n’a pas d’intérêt, Serge Papin estime que ce n’est pas « parce que les gens ont envie de consommer qu’il faut leur proposer n’importe quoi. Il est indispensable d’encourager nos concitoyens à consommer moins mais mieux. Ce qui implique forcément de faire évoluer nos modes de vie. J’ai toujours fait en sorte d’avoir une offre qui aille vers le mieux et non vers le plus, enchaîne-t-il. Je n’ai jamais cherché à remplir les chariots des clients. Au contraire, j’ai veillé à ce qu’ils aient une bonne connaissance des produits achetés, comme quelque chose de vertueux pour la santé, l’environnement et la filière agricole. » Ainsi s’inquiète-t-il de l’impact des produits ultra-transformés sur la santé et notre planète. « L’huile de palme, c’est l’importation de la déforestation! Ceux qui mettent sur le marché ces produits ont des responsabilités ! », martèle-t-il.

De cette conviction chevillée au corps, Serge Papin en a tiré un livre, co-écrit avec le botaniste écologiste Jean-Marie Pelt et naturellement intitulé : “Consommer mieux, consommer moins“, publié en 2009 1. « Un paradoxe pour un commerçant», sourit-il. Peut-être pas tant que ça pour ce fils d’épiciers né à Saint-Gilles-Croix-de-Vie en 1955, et qui a récemment rédigé un rapport dans le cadre de la loi Egalim 2 autour de la juste rémunération des agriculteurs.

UNE FINE COMPRÉHENSION DE SON ÉPOQUE

« Serge est un visionnaire qu’il faut parfois freiner, ironise son ami Jean-Claude Soulard, ancien PDG de l’Hyper U des Herbiers avec qui il a fait ses classes à Système U. Sur le bien consommer, les substances controversées, la composition des produits, il a toujours eu un temps d’avance.

Sur le bien consommer, les substances controversées, la composition des produits, il a toujours eu un temps d’avance. Jean-Claude Soulard

Serge Papin

L’ancien directeur de supermarché devenu PDG de Système U est aussi un homme de terrain. Ici lors de l’inauguration de Super U de Franqueville-Saint-Pierre (Seine-Maritime) en 2017 © D. R.

 

Il y a 15 ans, quand il nous (les administrateurs de Système U, NDLR) en a parlé pour la première fois, nous étions réservés. Comme à chaque fois où il a eu des prises de position assez affirmées, il a su nous convaincre. Serge est un fédérateur, soucieux de la planète et du bien-être des autres. »

Cette force de caractère, associée à une compréhension fine de son époque, ont sans aucun doute été des atouts déterminants dans la carrière de Serge Papin au sein de Système U. Quand il rejoint les “nouveaux commerçants“, il a seulement 20 ans et revient de son service militaire en Nouvelle-Calédonie. Titulaire d’un BEP commerce, il a déjà travaillé en GMS, chez Intermarché Fontenay-le-Comte comme manutentionnaire. Lors d’une formation à la CCI de Nantes, il fait une rencontre déterminante : celle de Jean-Claude Jaunait, président du groupement Unico qui deviendra Système U en 1982. « Nous faisions des entretiens d’embauches simulés avec de vrais patrons. Je jouais le rôle du candidat, Jean-Claude Jaunait, celui du recruteur. À la fin, il m’a dit : « Serge, considère que cet entretien n’avait rien de fictif mais qu’il était bien réel. Je t’embauche. »

UN PIONNIER AMBITIEUX

Ainsi commence l’aventure. Son premier poste, promoteur des ventes au sein de la centrale de Loire-Atlantique Unico, consiste à « aider les petits épiciers à prendre le train du supermarché dans les bourgs. La coopérative, c’était la grande surface des petites villes. Je les aidais à s’installer, à organiser leur magasin, à communiquer via des prospectus. »

Serge Papin a de l’ambition et ne s’en cache pas. « Très tôt, il a voulu prendre des responsabilités, être un acteur de Système U », se souvient Jean-Claude Soulard.

Dans les années 80, Serge Papin devient logiquement associé de la coopérative et prend la gestion de ses propres magasins en Vendée : Fontenay-le-Comte en 1981, Chantonnay en 1989. « J’étais fier des choix que j’étais en train de faire, celui de rendre accessibles les produits de grande consommation. La grande distribution n’a pas très bonne réputation aujourd’hui, on lui reproche de jouer à la loi du plus fort. Mais à l’époque, elle était en conquête, nous étions des pionniers. Notre génération n’avait pas conscience de toute cette notion capitalistique. Ce qui nous intéressait, c’était de conquérir des espaces pour ramener de la modernité dans les territoires. On en mesure tous les excès aujourd’hui… »

L’empreinte de son activité de grande distribution sur la planète le préoccupe. Alors, sans plus attendre, Serge Papin passe à l’action et lance, dès les années 80, dans son fief de Chantonnay, une activité de démontage/recyclage d’appareils électroménagers, dans le cadre d’un chantier d’insertion. En 1994, il passe la vitesse supérieure et avec son ami, Yves Gonnord, alors président de Fleury Michon, crée le GIE 2 Écovalor. D’abord basée à Bournezeau, l’usine retraite les emballages des magasins U de Vendée. Rebaptisé U Eco Raison en 2008, le projet s’est étendu à l’échelle de la Bretagne puis au national. Quant au site vendéen, il a déménagé il y a dix ans à Nantes et gère les déchets générés par l’activité de l’enseigne pour toute la région Ouest.

LA GRANDE FAMILLE SYSTÈME U

À la fin des années 90, la carrière de Serge Papin, alors vice-président de Système U Ouest et responsable du comité d’enseigne du groupement, connaît un sérieux coup d’arrêt. « Il avait appris le projet d’alliance entre Leclerc et Système U et pensait que ce n’était pas un bon choix pour le groupement, témoigne Yves Gonnord. Il était profondément déstabilisé. Je lui ai proposé de nous rejoindre chez Fleury Michon. Il a alors quitté le groupement. Sa mission consistait à travailler sur des questions de développement produit. Il était l’interlocuteur du conseil de surveillance auprès du directoire. »

 

Serge Papin

En 2021, Serge Papin a remis son rapport sur la juste rémunération des agriculteurs à Julien Denormandie, alors ministre de l’Agriculture, dans le cadre de la loi Egalim 2 © D. R.

 

Au bout d’un an, Jean-Claude Jaunait le recontacte. Le rapprochement avec Leclerc n’a pas abouti et la coopérative a « besoin de lui ». Il lui propose une place au sein du conseil d’administration de la centrale d’achat de Système U Ouest, la plus importante du groupe.

« Ma vraie famille, c’est quand même Système U, m’a-t-il dit, se souvient Yves Gonnord. J’ai parfaitement compris sa démarche et nous sommes restés très proches. »

À la suite de ces retrouvailles, la carrière de Serge Papin prend un nouvel essor.

En 2003, il est nommé vice-président du groupement et en 2005, il en devient le PDG charismatique et fait passer U dans la cour des grands.

Le 1er janvier 2007, les GMS ont le droit pour la première fois de faire de la publicité à la télévision. Serge Papin ne va pas s’en priver : à 0h01, les spectateurs de TF1 découvrent le premier spot de l’enseigne. « Nous avons pris la concurrence de vitesse. Pour moi, cette publicité était très symbolique. De U la discrète, nous devenions U la connue, la reconnue. Pour moi, c’était important de développer la notoriété du groupement et le sentiment d’appartenance des clients et des collaborateurs. Nous pouvions enfin rivaliser avec des enseignes comme Leclerc. »

Dix ans plus tard, il s’attèle à mettre en place une organisation plus productive avec la création de U enseigne. « Il s’agissait d’aligner et de standardiser les outils internes pour les rendre plus puissants. Pour le client, ce n’était pas visible, mais pour la continuité du groupement, c’était essentiel.» Logistique, informatique, système d’encaissement, U enseigne regroupe toutes les activités commerciales et les services supports des magasins U.

En 2018, après 42 ans de bons et loyaux services, Serge Papin quitte la gouvernance de Système U et passe la main à Dominique Schelcher, jusqu’ici vice-président. « Si Système U n’avait pas été une coopérative, jamais je n’en aurais pris la tête, conclut Serge Papin. Ce que j’ai aimé dans le fait de diriger une coopérative, c’est l’intelligence collective. »

Retraité très actif, toujours à l’affût des mutations de la société, Serge Papin est loin d’avoir dit son dernier mot. D’abord via une activité de consulting auprès des dirigeants où il les aide à comprendre leur époque, tout en réussissant à conjuguer projet économique et bien commun. Ensuite en ayant un avis bien tranché sur l’avenir de la grande distribution : « Elle est restée dans un rapport de force, dans l’entre-soi. Chacun regarde ce que fait le concurrent alors qu’à bas bruit progressent d’autres alternatives comme Grand frais et son large choix de produits hyper frais, les dark kitchen qui fournissent du prêt à manger accessible dans les métropoles ou encore les magasins fermiers et les circuits courts. La grande distribution doit faire l’effort de réconcilier les filières. Elle doit embarquer contractuellement la production, la transformation et la distribution pour une consommation plus vertueuse. Elle doit aussi renforcer son lien de proximité. Les supermarchés, temples de la consommation des années 80, ne correspondent plus à leur époque. Les marqueurs de l’offre du supermarché de demain? Circuit court, proximité, offre de qualité ! »

 

  1. Éditions Autrement, collection Frontières.
  2. Groupement d’intérêt économique.

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