Couverture du journal du 22/03/2024 Le nouveau magazine

Entretien – Véronique Sicard : « Un esprit de simplicité et de générosité »

Pour Véronique Sicard, on n’échappe pas à son destin. La brioche vendéenne, elle est tombée dedans petite. La “faute“ à ses parents, Roger et Monique Sicard, les fondateurs du groupe éponyme, il y a 50 ans, à Saint-Jean de-Beugné, dans le Sud-Vendée. À la tête du groupe depuis près de dix ans, elle s’attèle avec passion à perpétuer leur amour du travail bien fait et à mettre en valeur des produits de tradition vendéenne.

Véronique SICARD, PDG du groupe Sicard

Véronique SICARD, PDG du groupe Sicard © Benjamin Lachenal

Le groupe Sicard fêtera en 2023 ses 50 ans. Comment est née cette entreprise familiale ancrée dans le Sud-Vendée ?

L’entreprise a officiellement été fondée en 1973 par mes parents, Roger et Monique Sicard. Mais le vrai point de départ, c’est en 1967, trois kilomètres plus loin, à Saint-Aubin-la-Plaine. Mon père, qui était alors boulanger, a démarré avec ma mère une activité de boulangerie de campagne. C’était un atelier sans boutique. Chaque jour, avec leur petit camion, ils livraient le pain chez les habitants. Le premier produit à succès, c’était le pain Lemaire, un pain bio. La brioche, issue de la tradition chrétienne, était alors consommée seulement à Pâques. Les gens emmenaient les ingrédients à l’atelier et mon père faisait la brioche, ou plutôt la gâche, la vraie tradition de Pâques.

En 1973, ils se sont installés à Saint- Jean-de-Beugné, sur la mythique N137, la route des vacances. Mon père a alors décidé de faire des brioches à l’année. Le succès a rapidement été au rendez-vous. Roger Sicard a installé alors d’autres magasins sur les routes de vacances : à Sainte-Hermine, Luçon, La Faute-sur-Mer, La Roche-sur-Yon et Fontenay-le-Comte.

Dans les années 80, vos brioches arrivent dans les rayons de la grande distribution…

Système U et d’autres GMS nous ont fait confiance pour gérer l’ensemble de leur rayon boulangerie : le pain, les brioches, les viennoiseries, les spécialités. Tous les produits Sicard y étaient vendus. C’étaient des magasins dans le magasin. Notre personnel travaillait en rayon, en autonomie. Mais, à la différence d’un “vrai“ magasin, nous n’étions pas “propriétaires“ de notre clientèle. Le supermarché recevait un pourcentage sur les ventes en guise de loyer. Nous avons eu une dizaine de partenariats de ce genre. Au milieu des années 90, nous avons failli tout perdre car les GMS ont voulu récupérer la gestion de ce rayon. Ils ont repris notre personnel mais on a perdu 10 MF de chiffre d’affaires du jour au lendemain. Une période très compliquée…

POUR MON PÈRE, IL FALLAIT PROUVER QUE L’ON ÉTAIT À LA HAUTEUR POUR AVOIR SA CONFIANCE, ET MOI, LA FILLE DES PATRONS, ENCORE PLUS QUE LES AUTRES.

Comment avez-vous rebondi ?

Par le développement de notre réseau de magasins. Nous en avons eu jusqu’à 45 dans les années 2000 pour compenser ce manque à gagner. Pendant plus d’une décennie, ils nous ont portés. Mais dans les années 2010-2020, confrontés à de nouvelles difficultés, nous avons dû les fermer, tout en essayant de préserver un maximum d’emplois. C’était ma priorité. On s’est recentrés sur les fondamentaux : la brioche, les magasins et depuis 2013, le préfou. 2013, c’est d’ailleurs l’année où j’ai pris la présidence du groupe Sicard. Cela faisait quelques années déjà que je travaillais dans l’entreprise.

Comment avez-vous intégré l’aventure il y a 30 ans ?

J’ai officiellement rejoint l’entreprise le 17 juillet 1991 par le biais d’un stage en marketing et communication, le dernier de mes études et le seul que j’ai fait chez Sicard. Je me dirigeais alors vers une carrière dans la publicité. À cette époque, Roger et Monique Sicard avaient fait appel à une agence pour créer leur logo et gérer leur communication. Pour faire le lien, et vu mes compétences, l’agence a conseillé à mes parents de me prendre en stage au sein de l’entreprise. C’est comme ça que j’ai travaillé la charte graphique de Sicard en la déclinant sur tous les supports. Je me suis aperçue très vite qu’il y avait pas mal de chose à faire pour améliorer la communication des magasins. Mes parents ont proposé de m’embaucher comme chargée de communication. Je m’occupais de l’image des points de vente. C’est comme ça que j’ai imaginé et développé les premiers concepts des magasins Sicard. J’ai commencé au Smic car pour mon père, il fallait prouver que l’on était à la hauteur pour avoir sa confiance, et moi, la fille des patrons, encore plus que les autres.

Vous lui aviez pourtant juré de ne jamais travailler chez Sicard.

C’est vrai. Dès l’âge de 12 ans, pendant les vacances, et même le dimanche jusqu’en seconde, j’ai travaillé à l’entreprise, à tous les postes. J’étais une adolescente rebelle, et au départ, je n’étais pas contente de ne pas pouvoir aller à la plage avec mes amies. En même temps, j’ai appris la valeur du travail et de l’argent. Bien des années après, j’ai remercié mon père car cette expérience m’a aidée dans mes études. Elle m’a donné une grande aisance orale, une confiance en moi et une maturité professionnelle. Et quand je suis officiellement entrée dans l’entreprise, je connaissais déjà tous les postes. Aînée de quatre enfants, je suis la seule à travailler dans l’entreprise familiale.

C’est quoi “l’esprit Sicard“ insufflé par vos parents ?

C’est l’amour du travail et des choses bien faites. Pour mes parents, on n’a rien sans rien et rien n’est jamais définitivement acquis. L’esprit Sicard, c’est aussi la simplicité et la générosité, à l’image de sa brioche, un produit généreux qui se partage. Ces valeurs sont celles que nous essayons de défendre au quotidien. Nous nous devons de faire plaisir aux clients et de leur offrir le meilleur.

Boulangerie Sicard, l’une des deux entités du groupe, est une entreprise industrielle avec une certaine dimension artisanale. Dans quelle mesure exactement ?

Avec plus de 200 salariés et un chiffre d’affaires d’environ 10 M€, Boulangerie Sicard est finalement un petit poucet par rapport à ses concurrents. Cette dimension humaine, je tiens à la préserver. Notre pain est fait par des vrais boulangers. Nos brioches sont tressées, démoulées et emballées à la main. Et nous sommes ancrés localement : nos magasins sont en Vendée et départements limitrophes et notre brioche est vendue exclusivement dans le grand Ouest. Nous sommes l’un des trois industriels à fabriquer une brioche certifiée vendéenne (label IGP). Nous allons encore plus loin dans le respect de ce produit de tradition car nos brioches sont Label rouge.

Comment alliez-vous tradition, ancrage territorial et ambition nationale ?

L’ancrage local est historiquement porté par nos magasins et nos produits, tous fabriqués en Vendée. L’ambition nationale, elle, est portée par un produit 100 % vendéen : le préfou. Au début des années 2010, l’un de nos confrères avait décidé de le moderniser, en le vendant en grande surface, tranché, dans une barquette qui passait au four et en développant de nouvelles saveurs. Cette initiative nous a fortement inspirés. C’est dans notre ADN de défendre des produits vendéens et faits maison.

Véronique SICARD

La brioche vendéenne, le produit emblématique qui a fait la renommée de Sicard. ©DR

AVEC CETTE PANDÉMIE, J’AI PRIS CONSCIENCE QU’IL FALLAIT REDONNER DU SENS À TOUT CE QUE L’ON FAIT AU QUOTIDIEN

Alors, en 2013, l’année où j’ai pris la présidence, on s’est lancé en construisant une nouvelle usine dédiée au pré-fou et à la fabrication du pain, toujours à Saint-Jean-de-Beugné. Depuis cinq ans, notre préfou est vendu à l’échelle nationale. Nous sommes numéro 2 ou numéro 3 avec 10 % de part de marché sur ce segment. Comme pour la brioche, ce produit représente 30 % de notre chiffre d’affaires.

L’appellation “préfou vendéen“ n’est pas encore protégée mais, comme pour la brioche, artisans et industriels vendéens travaillent actuellement à l’obtention du label IGP, avec l’aide de la confrérie du préfou basée dans le Sud-Vendée.

La concurrence est forte dans votre secteur. Comment vous différenciez-vous ?

Nous jouons à fond la carte de la fabrication vendéenne, notamment sur le préfou où l’on met en avant le cœur vendéen, et le fait d’être une PME familiale. Pour nous démarquer, nous missions aussi sur la diversification des produits Sicard, avec une gamme très large de produits qui évolue avec la saison. C’est un vrai élément de différenciation qui séduit une typologie de clients très variée : des grandes surfaces spécialisées (GSS) ou alimentaires (GSA), des collectivités (hôpitaux, collèges, lycées, cuisines centrales dont celle de l’armée), la RHD (restauration hors domicile) et nos magasins.

Quelle place tient l’innovation dans l’entreprise ?

C’est un relais de croissance qui justifie que l’on soit encore aujourd’hui dans les rayons. C’est d’autant plus essentiel que nous ne sommes pas outillés pour faire du volume/prix. Nous sommes plus chers que nos concurrents alors nos clients attendent de nous de la créativité et de l’originalité. Grâce à notre service R&D, nous réussissons à proposer une à deux nouveautés par an, comme par exemple la brioche farine complète grainée en forme de fleur pour Biocoop, ou le préfou italien pour la saison estivale. Tous nos produits sont “clean label“, c’est-à-dire sans additif ni conservateur, nous avons donc revu toutes nos recettes. Enfin, nous allons là où les autres ne vont pas. Concrètement, tout ce qui est compliqué pour un gros industriel en raison de sa taille, nous le faisons. C’est le cas des préfolettes, des bouchées de préfou que nous sommes les seuls à faire depuis cinq ans.

La crise sanitaire a-t-elle été un élément déclencheur pour revoir le projet de l’entreprise et sa raison d’être ?

Avec cette pandémie, j’ai pris conscience qu’il fallait redonner du sens à tout ce que l’on fait au quotidien et respecter davantage notre environnement, à commencer par le territoire dans lequel nous vivons. Pendant cette période, j’ai beaucoup écrit, notamment sur la manière dont je voyais l’entreprise demain. Sans vouloir devenir une société à mission , j’aime les valeurs qui y sont attachées et c’est dans cet état d’esprit que je voulais retravailler le logo, notre raison d’être, notre stratégie. Je tenais à impliquer les collaborateurs dans ces choix. Pour m’aider dans cette démarche, j’ai contacté ma sœur Nathalie, ancienne directrice marketing chez Fleury Michon, qui venait de se mettre à son compte. En 2021, avec l’une de ses anciennes collègues, elles ont mené le projet “Ambassadeurs“, interrogé des collaborateurs, des clients, des consommateurs, animé des ateliers thématiques sur Sicard demain, sur les valeurs que l’entreprise doit défendre. Puis en 2022, une agence de communication a traduit l’ensemble des éléments recueillis pour faire le logo. Les collaborateurs ont voté pour celui qui résume le mieux notre raison d’être : simplicité, générosité et ancrage local. Nous avons retravaillé le concept magasin dans un esprit plus épuré, plus nature et nous espérons le mettre en œuvre en 2023. Nous avons aussi lancé le premier pré-fou agri-éthique en signant une convention tripartite avec des meuniers et des agriculteurs vendéens. Elle garantit un revenu décent pour l’agriculteur et un respect de l’environnement. Cela va se décliner sur la brioche et le pain.

Vous êtes impactés par la hausse des matières premières et du prix de l’énergie. Comment traversez-vous cette crise ?

La double négociation des prix avec la grande distribution était essentielle pour passer un premier cap. Ce qui m’inquiète désormais, c’est la baisse de la consommation. Nous ne sommes pas sur des produits de première nécessité. Là, c’est l’été mais je pense qu’en septembre, ce sera très dur. En 2022, nous avons dépensé 1 M€ de plus pour acheter nos matières premières. Cela nous a conduits en février à augmenter nos tarifs de 6 % sur l’ensemble de nos produits. Idem au 1er juillet : +15 % sur les brioches (à cause du prix du beurre), +7 % sur le préfou, +9 % sur le pain.

DIRIGER, C’EST UNE SACRÉE RESPONSABILITÉ. IL FAUT EN AVOIR ENVIE ET NE PAS LE FAIRE PAR HÉRITAGE

Pour le poste “énergie“, un contrat nous protège jusqu’à fin décembre. Mais nous savons déjà qu’en 2023, nos dépenses vont doubler passant de 200 000 à 400 000 €. Alors, pour limiter l’impact de cette hausse, nous avons revu notre système d’éclairage, notre organisation de travail et développons nos bonnes pratiques comme éteindre les lumières de nos enseignes la nuit.

Pensez-vous à la transmission à la troisième génération ?

J’y réfléchis mais je n’ai pas élevé mes deux enfants dans l’idée qu’ils prendraient un jour ma suite. Diriger, c’est une sacrée responsabilité. Il faut en avoir envie et ne pas le faire par héritage. Je regarde aussi du côté de mes neveux et nièces. Peut-être que l’un d’entre eux voudra relever le défi ? Pour l’instant, ils sont trop jeunes. Mon père, qui a 78 ans continue de vadrouiller dans l’entreprise, dit que je serai pire que lui, que je ne lâcherai pas l’entreprise. L’avenir nous le dira. Ce qui est sûr, c’est que je n’aime pas être loin. Quand je reviens de voyage et que je vois le clocher de l’église juste à côté, je suis heureuse. Je sais que je suis à la maison.

Véronique SICARD

Le magasin du fief historique de Saint-Jean-de-Beugné, sur la route des vacances. © D. R.

LE GROUPE SICARD EN CHIFFRES

2 entités : Boulangerie Sicard (production) et Le fournil vendéen (réseau de magasins)

20 points de vente

2 unités de production à Saint-Jean-de-Beugné (Vendée)

Entre 220 et 230 salariés

Un CA consolidé de 17 M€