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[ Dossier Filière Bois ] « Ces problèmes d’approvisionnement risquent d’affaiblir nos entreprises »

Entre les pénuries, les augmentations de prix, les problèmes de recrutement et les attaques contre ses dérives, la filière bois est chahutée. Alors que, dans le même temps, le bois n’a jamais autant séduit. On fait le point sur le territoire

filière bois

© Benjamin Lachenal

La chaîne de valeur de la filière bois subit de fortes tensions, sous la pression de la demande internationale. Les carnets de commandes sont pleins mais les entreprises peinent à y faire face. Témoignages d’entreprises de Loire-Atlantique.

La filière bois vit un paradoxe. Construction, industries, rénovation… La demande afflue, les entreprises ont traversé l’année 2020 sans pertes majeures, mais elles font face aujourd’hui à de grandes difficultés. Les carnets de commandes sont pleins mais les prix sont tirés vers le haut du fait de la forte reprise en Chine et aux États-Unis (80% des constructions).

Un phénomène inquiète particulièrement la profession : l’arrivée de négociants chinois qui achètent directement du bois, surtout du chêne mais plus seulement, à des tarifs élevés. Une pétition a même été lancée par la Fédération nationale du bois qui craint un regain de tensions entre scieurs et propriétaires forestiers privés. Selon les scieurs, « depuis six mois, 35 à 100% des volumes de chênes de la forêt privée partent à l’export, surtout en Chine ».

Conséquence pour les entreprises du territoire : les prix flambent et les délais d’approvisionnement augmentent.

« Des donneurs d’ordres nous mettent la pression », Pascaline GORRÉE-BOURDAUD, présidente de Bourdaud Bois

DES TENSIONS AVEC LES CLIENTS

Ainsi, après avoir perdu trois mois d’activité à cause du premier confinement, et enregistré une perte de 400 000€ de CA (5,6 M€ au lieu de 6M€), la reprise est très forte en 2021 pour la scierie Bourdaud, installée à Nozay depuis 1936. « Nous n’avons jamais connu une telle demande sur la scierie, témoigne Pascaline Gorrée-Bourdaud, présidente de la société familiale qui travaille surtout en menuiserie. Mais il y a une forte tension sur le pin et les résineux en général à cause de la demande mondiale. » Résultat : l’entreprise gère actuellement un carnet de commandes avec dix semaines de charges contre trois en général. Niveau prix, le pin maritime est, par exemple, passé de 31€/m3 le pied d’arbre à 60€/m3 début juin. Les dérivés des grumes ont pris 25%, idem pour les produits connexes (pellets, paillage…). Très affectée le jour où nous l’avons rencontrée – elle venait d’apprendre la survenue d’un nouvel accident d’un de ses chauffeurs – Pascaline Gorrée-Bourdaud évoque un ras-le-bol et « un climat de tensions avec les clients du fait de ces augmentations de prix et de délais ». Elle ajoute : « En général, tous les clients acceptent les hausses car soit ils ne trouvent pas meilleur tarif soit ils ne trouvent pas de bois tout court. Mais de gros donneurs d’ordre mettent la pression ». Une pression qui va parfois jusqu’à l’insulte. Elle a du mal à trouver des points positifs, malgré le dynamisme du marché. « Cet engouement est une bonne chose, c’est sûr. Mais en même temps, nous n’avons pas de solutions pour produire plus. On ne peut pas passer aux 3X8, les équipes ne l’accepteraient pas. Et nous avons des problèmes de recrutement avec un manque de compétences. L’intérim, c’est la catastrophe, certains partent au bout de trente minutes… » Une piste toutefois : investir pour moderniser une ligne car, malgré les craintes, la société a retrouvé ses indicateurs de productivité. « On a besoin de 1 à 2 M€ donc on se renseigne sur les appels à projets possibles », indique la présidente.

UNE VISIBILITÉ SANS PRÉCÉDENT

Chez la scierie TBO, installée à Riaillé depuis 1947, la perte d’activité en 2020 a été moins forte car la scierie travaille surtout avec l’industrie. Donc le CA a peu flanché : 5,05 M€ en 2020 contre 5,1 M€ en 2019. Jean Bureau, son dirigeant, reste confiant, tout en admettant une situation compliquée aujourd’hui. « En temps normal, le pic de CA est en juillet. Là, nous l’avons déjà atteint en mars-avril-mai mais nous n’avons plus de stock d’avance… Donc nous avons un souci de capacité de livraison des clients. Nous avons des délais de commande aujourd’hui pour octobre… » TBO n’accepte plus de nouveaux clients ni de nouveaux produits. « Certains en demandent plus mais ça n’est pas possible pour pouvoir fournir tous nos clients au même niveau… Et nous sommes au maximum de nos capacités de production, à 44h de travail par semaine. » TBO en vient même à acheter du bois à d’autres scieries. « Ce qui est sûr, c’est que nous n’avons jamais eu une telle visibilité : nous sommes début juin et j’ai des commandes jusqu’au mois d’octobre alors que d’habitude c’est autour de huit semaines. »

Du côté de la construction, même constat. Michel Brochu, président de la Capeb Pays de la Loire et dirigeant de l’atelier Isac à Nort-sur-Erdre (40 salariés, 4,5M€ de CA), évoque une année 2020 où ils ont « réussi à sauver les meubles, avec une année à l’équilibre ». Mais avec peu de marges et une difficulté pour investir. En revanche, pour 2021, Michel Brochu parle « d’un plan de charge énorme, avec un afflux de demandes que ce soit dans le public, le privé ou les particuliers ». Un dynamisme plombé par des prix qui augmentent « crescendo ». Ainsi, le tarif de l’OSB, panneaux de bois utilisés pour les murs notamment, a augmenté de 300% depuis janvier, celui de l’ossature bois de 200% … Avec des conséquences importantes sur les contrats et les commandes. La société a conclu un contrat pour un gros chantier en mars mais dont le devis actualisé aujourd’hui donne un différentiel de près de 70 000 €. Parfois, certains projets sont quasi prêts mais il manque un élément, sans que Michel Brochu ne sache quand il arrivera : « Une structure préconstruite peut rester trois à quatre mois dans la cour comme ça… Et certains donneurs d’ordre ne comprennent pas. » La société travaille sur des stocks faibles de deux à trois semaines. « On n’a pas les capacités pour s’organiser autrement. Faire du stock demande de la trésorerie mais aussi de l’espace. Et puis, des entreprises ont fait du surstock ce qui accroît le phénomène de pénurie… »

Michel Brochu se montre prudent quant à l’avenir face à l’incertitude sur la fin de cette flambée des prix : « Si les prix ne diminuent pas ou faiblement, alors ce sera plié pour la construction bois. Le matériau ne sera plus compétitif… Les marchés publics veulent du bois pour l’instant mais que se passera-t-il quand ils regarderont leur portefeuille ? »

BAISSE DES PRIX POUR LE BOIS ÉNERGIE

Au contraire des scieries et des entreprises de construction, la société Bema, spécialisée dans le bois énergie et basée à Nozay (50 personnes, 12M€ de CA en 2020), est à la peine. Avec un double phénomène. D’abord, les tensions sur les matières premières conduisent les tarifs du bois énergie à diminuer. « La demande se situe sur le bois de première qualité, les troncs. Or, nous nous servons surtout des têtes qui ne sont pas valorisées en sciage. Il y a un déséquilibrage car les volumes demandés restent stables pour ce bois de seconde qualité, il y a un surplus de production et cela fait baisser les prix », détaille Mathieu Havard, directeur de Bema. Une baisse de prix qui ne joue pas en faveur de l’entreprise car certains de ses gros contrats avec des groupes de l’énergie sont en plein renouvellement : « Avec des prix bas, nous allons renouveler sur des bases moins avantageuses », explique encore Mathieu Havard. Autre cause de la surproduction : des bois devenus malades, dans l’Est, sont requalifiés, de qualité première à qualité inférieure. « C’est inquiétant car, auparavant, cela se cantonnait à une zone allant de Verdun vers l’Est. Aujourd’hui, il y a une crainte que cela se propage jusqu’à Paris et que tout soit coupé, aggravant la surproduction de ce bois de seconde qualité… »

Et Mathieu Havard fait face à un autre souci : un manque de débouchés qu’il explique par un arrêt de l’accompagnement du gouvernement sur cette activité. « L’État a eu peur du grand public », estime-t-il, avec des controverses récentes sur la toxicité du chauffage au bois, notamment.

« Le marché est stable depuis cinq ans, après une phase de forte croissance. Nous continuons de grossir car certaines entreprises arrêtent. Nous travaillons avec des recycleurs en déchetteries, des élagueurs mais nous avons du mal à valoriser ces matières premières. Il faudrait de nouvelles installations de cogénération. Mais nous avons du mal à communiquer sur l’intérêt du chauffage au bois, d’autant que les nouvelles installations sont bien moins polluantes. » Alors Bema cherche à se diversifier. La société a lancé une activité de prestation d’entretien pour les voieries, les autoroutes ou encore la SNCF. Et elle cherche à valoriser son bois de seconde qualité sur d’autres marchés : horticulture, litières animales, paillage, filtration…

« Avant cette phase de hausse, la filière allait mieux, analyse Karine Bouhier, présidente d’Atlanbois, association régionale de la filière et codirigeante de LCA Construction, basée en Vendée. Nous avions une certaine stabilité des prix depuis des années, contrairement à la métallurgie qui a l’habitude de connaître de fortes variations. Ces problèmes d’approvisionnement risquent d’affaiblir nos entreprises, en particulier celles qui manquent de trésorerie. Les marges vont être mangées et on va perdre de l’argent. »

La filière en chiffres

En Pays de la Loire, la filière bois compte 7 100 établissements et emploie 31 400 salariés. Le volume de sciage est de 220 000 m3 par an.

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